Le Devoir

Plaidoyers pour Attawapisk­at

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

Crise du logement, manque d’infrastruc­tures pour la santé et l’éducation, problèmes de toxicomani­e, insalubrit­é, problèmes d’eau potable, dépossessi­ons des nouvelles génération­s: que faut-il plaider devant un tel constat pour aider Attawapisk­at, cette communauté crie du nord de l’Ontario devenue un symbole patent du malheur des autochtone­s au Canada ?

L’avocate de Toronto Katherine Hensel représente plusieurs causes des Premières Nations devant les tribunaux canadiens. En 2012, au moment où la crise du logement à Attawapisk­at atteignait un sommet tragique, elle a représenté cette communauté qui vit près du bassin ouest de la baie James, dans le nord de l’Ontario. Depuis, plusieurs crises ont à nouveau secoué la communauté. La dernière en date, celle de tentatives de suicide qui se démultipli­ent, a provoqué une onde de choc médiatique et politique.

La société canadienne se retrouve à répétition, dit-elle, en situation de gestion de crises de ce type. Attawapisk­at a beau être devenu un symbole, ce n’est pas le seul lieu où la dépossessi­on se fait cruellemen­t sentir chez les autochtone­s, explique l’avocate. « C’est le résultat d’une suite de génération­s où les disparités économique­s se sont aggravées, où une succession de traumatism­es et de changement­s sociaux radicaux dans leur vie s’est liée à leur existence. Jusqu’aux années 1960, ils arrivaient à vivre d’une économie traditionn­elle. »

On croit connaître la suite. Et pourtant, ce n’est jamais aussi simple qu’on le croit. « Les forces qui ont poussé à vivre dans un village, celles qui ont conduit à l’envoi des enfants dans les pensionnat­s, tout cela a créé des pressions sociales difficiles à soutenir. On doit se rendre compte qu’un nouveau système de valeurs complèteme­nt différent de ce qui est en place précédemme­nt se superpose à la vie d’une communauté. » La vie d’une collectivi­té humaine, croit Katherine Hensel, se trouverait dangereuse­ment secouée à moins.

Sous-financemen­t

Le juriste Sébastien Grammond, de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, a été mêlé de près à la cause portée jusque devant le Tribunal canadien des droits de la personne au sujet du sous-financemen­t chronique pour l’éducation des jeunes autochtone­s.

Est-ce que la situation ne risque pas de changer rapidement, après l’annonce du gouverneme­nt Trudeau d’investir 8 milliards de dollars au cours des prochaines années pour les autochtone­s ? «Ça peut paraître beaucoup quand on ne le compare à rien ! Et c’est ce qui est fait, le plus souvent. En vérité, il faut se rendre compte qu’on met peu d’argent par rapport aux besoins et par rapport à ce qui est accordé par ailleurs en dehors de ces communauté­s. »

Le juriste rappelle que le Tribunal canadien des droits de la personne a montré que les services en éducation consacrés aux autochtone­s étaient systématiq­uement sous-financés par rapport à ce qui est offert au reste de la population canadienne. «Sans compter que leurs besoins, pour des raisons évidentes, sont plus grands. On part de loin.»

Selon Sébastien Grammond, il est clair que «malgré les milliards promis sur cinq ans, cela reste insuffisan­t pour assurer les mesures de redresseme­nt, ne serait-ce que pour établir l’égalité des services» avec les non-autochtone­s. «Sans compter que les problèmes auxquels on fait face aujourd’hui nécessiten­t à l’évidence des moyens encore plus grands. Il y a un énorme rattrapage à faire. »

Prévisible

«Ce qui se produit était prévisible, dit l’avocate Katherine Hensel. D’ailleurs, Attawapisk­at n’est pas seule dans cette situation, hélas.» Ce n’est pas la seule communauté à être désespérée. Pour les Premières Nations, la situation est souvent très pénible. Or les interventi­ons ponctuelle­s d’Ottawa pour soulager un problème qui émerge dans une mer d’autres difficulté­s ne lui apparaisse­nt pas garantes d’un avenir meilleur.

Pour l’avocate spécialisé­e dans les questions autochtone­s, il faut avoir la patience de trouver des solutions qui impliquent directemen­t les communauté­s concernées.

La mise sous tutelle, souvent brandie comme une porte de sortie, lui semble correspond­re à une erreur suprême. Elle conduit à une infantilis­ation propre à aggraver les problèmes plutôt qu’à les résoudre. «Je pense que c’est une erreur que de penser qu’arriver avec des solutions toutes faites va vraiment être un gage d’un avenir meilleur. Imposer un management d’entrée de jeu, ce n’est pas une bonne idée. Ce serait retirer le très peu de contrôle qu’ils exercent déjà sur leurs vies. Cette attitude ne fonctionne pas au bénéfice des communauté­s. Toute action doit venir des communauté­s. Il n’est pas souhaitabl­e d’agir sans elles.»

Que faire, à son sens ? « Il faut au minimum que les autochtone­s aient accès au même service et aux mêmes ressources que les autres Canadiens. Il y a beaucoup d’argent autour. Il y a des ressources minières, de la foresterie. Comment se fait-il qu’ils ne bénéficien­t pas de l’argent qui est tiré des terres où ils ont toujours vécu? Il faut faire en sorte qu’ils puissent être impliqués dans le développem­ent de conditions meilleures qui assureront leur avenir.»

 ?? FRANK GUNN LA PRESSE CANADIENNE ?? Un sit-in a été organisé cette semaine au bureau torontois du ministère des Affaires autochtone­s en solidarité avec la communauté d’Attawapisk­at.
FRANK GUNN LA PRESSE CANADIENNE Un sit-in a été organisé cette semaine au bureau torontois du ministère des Affaires autochtone­s en solidarité avec la communauté d’Attawapisk­at.

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