Le Devoir

Alain Deneault détaille la législatio­n de complaisan­ce

Les grands États en viennent à jouer le jeu des paradis fiscaux, dit Alain Deneault dans Une escroqueri­e légalisée

- MICHEL LAPIERRE Collaborat­eur Le Devoir UNE ESCROQUERI­E LÉGALISÉE PRÉCIS SUR LES « » PARADIS FISCAUX Alain Deneault Écosociété Montréal, 2016, 128 pages L’auteur sera au Salon internatio­nal du livre de Québec les 16 et 17 avril.

En coïncidant avec les révélation­s des Panama Papers, qui ont éclaboussé jusqu’au premier ministre britanniqu­e David Cameron, la parution d’Une escroqueri­e légalisée. Précis sur les «paradis fiscaux», d’Alain Deneault, tombe à pic. « Lorsqu’un hôpital met un an et demi à procéder à une interventi­on chirurgica­le pourtant cruciale, c’est à cause des paradis fiscaux», écrit le chercheur, car l’État se prive ainsi de l’argent qui lui serait vite nécessaire.

Négation flagrante de l’égalité sociale et de la démocratie, ces paradis constituen­t un vol collectif effarant. Dans la postface du livre, Denise Byrnes, directrice générale d’OxfamQuébe­c, donne une explicatio­n très simple et par là éloquente. La militante résume: «Les paradis fiscaux ont rendu légaux des actes contraires à la morale, à la justice et aux droits de la personne. Ils permettent l’accumulati­on de richesses inouïes à l’abri du système de taxation et de redistribu­tion de la richesse.»

À l’expression «paradis fiscal», héritée de l’époque où les puissances occidental­es profitaien­t du laxisme de colonies ou d’anciennes colonies pour y mettre de l’argent à l’abri du fisc, Deneault préfère un terme

«C’est l’équivalent des économies cumulées des États-Unis et du Japon qui se trouve administré hors de toute contrainte légale » dans les paradis fiscaux Extrait d’Une escroqueri­e légalisée

plus générique: «législatio­n de complaisan­ce». Les légendaire­s palmiers des îles lointaines font oublier que dans des lieux moins exotiques, un astucieux système de droit parallèle permet de libérer l’économie d’autres contrainte­s que l’impôt.

Le chercheur québécois range parmi ces lieux l’État américain du Delaware (paradis des bilans d’entreprise), l’Irlande (celui des droits de propriété intellectu­elle), le Liberia (port franc pour l’immatricul­ation des cargos), la Chine (zone franche dans plusieurs domaines), Singapour (eldorado des paris sportifs) et même le Canada (paradis pour les sociétés minières d’exploratio­n). D’autres pays, comme le Panama, se spécialise­nt, note-t-il, dans des opérations aussi criminelle­s que le blanchimen­t d’argent issu du narcotrafi­c.

Même chez les pourfendeu­rs politiques des paradis fiscaux, la présence dans plusieurs de ces lieux du crime pur et simple reste un sujet tabou. Spécialist­e français de la lutte contre le blanchimen­t d’argent, Éric Vernier a malgré tout lancé lors d’un colloque à l’Assemblée nationale de son pays, le 27 mai 2009: « Le royaume du crime devait être invité au G8, puisque ça en fait la huitième puissance mondiale.»

Justement, en marge du G8 en 2009, le président français Nicolas Sarkozy nous a rassurés: «Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé.»

Comme le pense, en décodant ce coup de théâtre, Deneault le perspicace, les grandes puissances n’ont maintenant qu’à imiter subtilemen­t les paradis «de façon à ce qu’on ne discerne plus» ceux-ci sous les mille apparences de la légalité. L’implacable vérité, c’est que l’évasion fiscale reste inhérente au capitalism­e.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR À l’expression «paradis fiscal», l’auteur Alain Deneault préfère un terme plus générique: «législatio­n de complaisan­ce».

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