Anne Carson, dans une classe à part
Entretien avec celle qui reçoit aujourd’hui le Grand Prix du festival
On ne la connaît pas, ou alors si peu, du côté franco du Canada, parce qu’elle est encore très peu traduite. Et pourtant Anne Carson, née en 1950, professeure à McGill, est une poète aux textes attendus, suivie — cédons à la tentation people — par Susan Sontag, Alice Munro et autres Michael Ondaatje. Près de 15 ans après la publication de son Autobiography of Red (Knopf, 1998, loin d’être une plane autobiographie, rien n’est si frontal chez Carson), elle revient avec son écho, en quelque sorte, Red Doc>, qui lui a valu le prix Griffin de poésie 2014.
Carson y tisse autour de la figure de Geryon, en ses rythmes et formes propres, définis, fragmentés, toujours mouvants, sa grande érudition, son amour des classiques et plus précisément des Grecs, sa hantise envers Proust, une texture temporelle où antiquité, anachronismes et contemporanéité se nattent, un sens du réel et de l’invention acérée.
Une oeuvre et une auteure fascinantes et exigeantes, donc, qui a bien voulu répondre à quelques questions du Devoir, par claviers interposés, avant qu’on lui remette le Grand Prix du festival Metropolis bleu 2016 aujourd’hui même.
Pensez-vous que la poésie (la vôtre a fortiori) peut être traduite? Non, et pourtant elle l’est. Votre poésie est-elle spirituelle? Qu’est-ce que votre étude du grec ancien a apporté à votre rapport à votre langue maternelle? À votre compréhension du présent ?
Je suis la personne la moins spirituelle qui soit. L’étude du grec ancien, par ailleurs, m’a permis de mieux saisir l’irrationalité profonde des mots et, ce faisant, de m’interroger sur les usages rationnels qu’on en fait. La forme est importante dans votre travail, on sent néanmoins une part d’aléatoire dans celle de Red Doc>…
Oui, jusqu’à la forme du texte dans les pages. Mesurez-vous la part de contrôle par rapport à la part de laisser-aller nécessaires pour donner corps à vos poèmes?
Oui, pourvu que cette mesure puisse se faire de manière intuitive. Comment travaillez-vous le rythme de vos poèmes?
Je me chante à moi-même en écrivant. Le rythme de la pensée est très important chez moi, je vous sais gré de l’avoir remarqué. Il vous arrive de performer sur scène, transformant votre poésie en spectacles. Cela fait-il partie intrinsèque de votre travail d’écriture, ou sentez-vous que cela devient complètement autre chose?
J’ai commencé ces essais performatifs quand j’ai rencontré [Robert] Currie, et leur efficacité dépend de lui. Il a une imagination spatiale que je n’ai pas.