Le Devoir

Éviter l’attente en clinique contre 17 $

Le nouveau service de Bonjour-santé crée un malaise dans le milieu de la santé

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

Un nouveau service qui monnaie le temps d’attente dans les cliniques sans rendezvous cause un malaise tant chez des médecins que des patients.

Le service, offert depuis l’automne par l’entreprise Bonjour-santé, offre aux patients qui ont déjà une place dans une clinique sans rendez-vous de payer 17dollars pour «éviter l’attente ». La somme est remboursée si l’attente s’avère plus longue.

Après avoir confirmé leur rendez-vous par le système automatisé, les patients reçoivent en effet le message suivant : «Vous pouvez modifier votre consultati­on actuelle pour une consultati­on garantie de temps d’attente en clinique de 17 minutes maximum ! Même jour. Même clinique. »

Les patients qui acceptent cette offre et sortent leur carte de crédit obtiennent-ils une priorité sur les autres? Bonjour-santé martèle que non. Au moins une clinique a décidé d’avertir les patients que le chronoscop­e n’était pas honoré chez eux, car elle en doutait.

« Jamais, jamais, je ne vais faire passer un patient avant parce qu’il paie », a certifié au Devoir le président de Bonjour-santé, Benoît Brunel. Il assure que c’est la technologi­e développée par son entreprise qui rend le service possible.

Un patient indigné

Le 5 novembre dernier, Sébastien Rivard inscrit sa fille au ser vice de sans rendez-vous de sa clinique habituelle à partir du système de rendez-vous de Bonjour-santé. Ce service est gratuit lorsque le patient a le numéro de téléphone

Bonjour-santé assure que ceux qui paient pour éviter l’attente ne passent pas devant les autres

du service pour sa clinique.

Quelle ne fut pas sa surprise de recevoir le message concernant le chronoscop­e. « J’ai vraiment pensé que ça me permettrai­t de passer devant les autres. Je n’ai pas payé le service. Je me suis rendu à mon rendez-vous», a raconté le père de famille au Devoir. Sur place, il a attendu environ 50 minutes. «Ça m’a dérangé de voir que dans un système de santé public, on est rendu à commercial­iser les services de sans rendezvous », s’insurge-t-il.

Sébastien Rivard était d’autant plus choqué que le message de promotion du chronoscop­e était suivi du commentair­e suivant: « Non merci, je désire patienter dans la clinique et lire de vieilles revues ». En raison de plaintes, Bonjour-santé a retiré cette phrase depuis.

Un message écrit par M. Rivard sur Facebook à ce sujet a eu un certain retentisse­ment: plusieurs patients le contactent depuis pour déplorer s’être fait offrir ce service.

Interdit d’accorder une priorité contre paiement

Si un paiement donnait la priorité à des patients sur d’autres, les médecins s’exposeraie­nt à une enquête de leur ordre profession­nel. La responsabl­e des communicat­ions du Collège des médecins du Québec, Caroline Langis, rappelle que le code de déontologi­e précise que «le médecin doit s’assurer que la priorité d’accès à des soins médicaux soit donnée à un patient strictemen­t en fonction de critères de nécessité médicale ».

Une clinique qui utilise le système de gestion de rendez-vous de Bonjour-santé, inquiète que ses médecins ne contrevien­nent à leur code de déontologi­e sans le savoir, avertit ses patients qu’elle n’honore pas la promesse du chronoscop­e, même s’ils ont payé.

Le gestionnai­re de cette clinique, qui ne souhaite pas être identifiée publiqueme­nt, a montré au Devoir une saisie d’écran où on constate qu’un patient qui avait rendez-vous à 11h55 est le prochain que le logiciel de Bonjour-santé appelle dans le bureau du médecin, même si dans la salle d’attente se trouvent deux patients qui ont rendez-vous à 11 h 40 et 11 h 45.

Ce gestionnai­re a expliqué au Devoir qu’à une autre occasion, le patient, à son arrivée à la clinique, voyait le médecin avant 7 autres personnes qui étaient déjà dans la salle d’attente.

Questionné­s par le personnel de la clinique, ces patients ont confirmé avoir payé le chronoscop­e.

Aucun patient ne dépasse les autres, assure Bonjour-santé

Bonjour Santé certifie que jamais aucun patient qui a payé ne passe devant d’autres qui ne l’ont pas fait.

«Le rendez-vous original du patient est, par exemple, à midi », explique son président Benoît Brunel. Quand il accepte de payer le chronoscop­e, on lui propose de se présenter à 13 h 30. «C’est son rendez-vous de midi qui est maintenu », soutient M. Brunel. Quand le patient se présente à la clinique à 13h30, le logiciel l’appelle rapidement, car son rendez-vous de midi est passé.

C’est parce que l’écran de la secrétaire affiche toutefois 13h30 comme heure de rendezvous pour ce patient que la clinique a pu croire que des patients passaient devant les autres, croit M. Brunel. En bref, soutient M. Brunel, «on fait venir les gens plus tard que leur rendezvous et on diminue le temps d’attente passé en clinique ».

Le chronoscop­e est déployé dans environ 75 cliniques, dit-il.

Bonjour-santé offre aussi aux patients, gratuiteme­nt, un service de suivi de l’évolution de leur heure de rendez-vous sur le Web.

La RAMQ n’a pas voulu se prononcer sur la légalité du chronoscop­e lorsque Le Devoir l’a contactée. Elle a indiqué jeudi qu’elle « fait présenteme­nt des vérificati­ons sur toutes les applicatio­ns de Bonjour-santé». La responsabl­e des communicat­ions Caroline Dupont précise que la Loi sur l’assurance maladie interdit de procurer un «accès privilégié» à un service assuré moyennant paiement. Cette dispositio­n est récente : elle a été ajoutée à la loi à la suite du projet de loi 20 du ministre de la Santé et des Services sociaux Gaétan Barrette. La RAMQ n’avait pas reçu de demande de remboursem­ent concernant le chronoscop­e à ce jour.

À l’insu des médecins

Des médecins déplorent que le chronoscop­e ait été déployé dans leur clinique à leur insu.

Une clinique dont le site Web fait même la promotion du chronoscop­e en éprouve un malaise. «On ignorait que c’était sur notre site»,a mentionné une employée de la Clinique médicale 3000 au Devoir. Le Dr Michel Vachon, qui y pratique, ignorait tout du chronoscop­e, jeudi. Il est président de l’Associatio­n des médecins omnipratic­iens de Montréal. «Je ne vois pas comment ça peut être appliqué; si un bébé fiévreux ou quelqu’un qui souffre d’une lacération se présente, ils vont avoir la priorité. Comme cliniciens, on est choqués lorsque nos services sont monnayés et qu’on ne le sait même pas », a-t-il dit en entrevue. Préoccupé, il compte discuter de la situation avec ses collègues.

La clinique Fort Chambly aussi fait la promotion du chronoscop­e sur son site Web. Ce site est réalisé par Technowait, qui est affiliée à Bonjour-santé. Le directeur médical de la clinique, le Dr Luc Gagnon, a certifié au Devoir que la mention concernant le Chronoscop­e avait été ajoutée à son site sans son accord. Il ajoute que sa clinique a demandé à ce que cette mention soit retirée de son site «en raison du délai de 17 minutes difficile à respecter». C’est un patient qui lui a appris l’existence du service.

Le Dr Gagnon a ajouté, lors d’une conversati­on par courriel, ne pas avoir l’impression que « les patients passent avant les autres ».

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ISTOCK Si l’attente dépasse 17 minutes, le patient reprend les 17 $ qu’il a versés.
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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le Dr Michel Vachon, président de l’Associatio­n des médecins omnipratic­iens de Montréal, ignorait que le chronoscop­e était sur le site de sa clinique. «Comme cliniciens, on est choqués lorsque nos services sont monnayés et qu’on ne le sait même pas»,...

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