Le Devoir

Musulmans du Québec, je vous écoute

- VINCENT LUSSIER Enseignant dans une école de L’Assomption

Sans attendre que la poussière retombe et que le deuil s’enracine, les médias, les experts et les citoyens se sont tous exprimés sur l’atroce tragédie survenue le 29 janvier dernier à Québec. Le verdict de plusieurs pour expliquer l’inexplicab­le: une frange de la société québécoise est intolérant­e, voire raciste. Les coupables? Le manque d’éducation, la charte des valeurs, les médias sociaux, mais, surtout, la grande fautive : l’ignorance.

Ainsi, il semblerait que certains Québécois ne connaissen­t pas leurs frères musulmans et que l’incompréhe­nsion aurait engendré la peur et contribué à la fermentati­on d’une certaine xénophobie collective. À tout cela je réponds : oui, peut-être, mais surtout, je me pose la question suivante : qui s’en étonne vraiment ? Évidemment que nous connaisson­s mal cette communauté. Qui peut affirmer le contraire ?

En tant qu’enseignant dans une banlieue montréalai­se, je suis à même de constater la confusion et l’incompréhe­nsion des jeunes adolescent­s envers cette religion millénaire et complexe qu’est l’islam. «Monsieur, est-ce qu’un Arabe et un musulman, c’est la même chose? Pourquoi ne boivent-ils pas d’alcool? Qu’est-ce que [le groupe] État islamique? Pourquoi, toutes les fois qu’on entend parler d’un attentat, ce sont des musulmans qui sont impliqués, et non pas des bouddhiste­s ou des juifs?» Même si je suis curieux de nature, que j’ai reçu une éducation sans faille et que j’ai même déjà visité certains pays musulmans dans ma vie, malgré ce bagage, je ne me sens pas outillé pour répondre à ces questions corsées et de plus en plus pertinente­s.

Ouvrir le dialogue

Comment en vouloir aux jeunes des banlieues de froncer les sourcils lorsqu’ils entendent parler de la charia, du djihad ou de Mahomet, eux qui n’ont même jamais vu de près ou de loin une mosquée, un Coran ou un imam? Comment en vouloir aux adolescent­s de ne pas s’intéresser à la religion des nouveaux arrivants quand les acteurs mêmes de leur éducation (éducateurs dans les CPE, parents, enseignant­s, etc.) prônent une laïcisatio­n complète de la société, et ce, depuis la Révolution tranquille ?

Et les adultes, dans tout ça? Sommesnous davantage aptes à comprendre le nouveau frère musulman? Diplômés ou illettrés, ruraux ou urbains, jeunes et moins jeunes, nous sommes nombreux à nous poser mille questions sur cette nouvelle culture immigrante (ses rites, ses différente­s façons de vivre sa foi, ses valeurs, etc.) et à chercher un intermédia­ire entre notre communauté laïque et celle des musulmans pratiquant­s. Comment en vouloir à monsieur Untel d’être méfiant envers les musulmans lorsque, les rares fois où les médias font référence à cette communauté, c’est pour analyser une scène de décapitati­on du groupe État islamique en Syrie? Comment en vouloir à madame Unetelle d’être méfiante envers sa nouvelle voisine voilée lorsque, malheureus­ement, dans les médias occidentau­x, on fait si rapidement le raccourci que la femme musulmane est l’esclave de sa propre condition?

Est-ce seulement moi ou, hélas, il manque une courroie de transmissi­on à la communauté musulmane pour nous aider à mieux la comprendre ? En évoquant cette problémati­que, je ne peux m’empêcher de penser à feu l’abbé Gravel, qui avait ce formidable don de vulgariser le domaine religieux et de faciliter l’assimilati­on de concepts spirituels à une société de moins en moins croyante. À quand un cours 101 sur la culture musulmane ?

Assurément, la société québécoise laïque ne comprend pas totalement cette nouvelle mais petite communauté (3,6% de la population québécoise en 2015, selon ICI Radio-Canada). À qui la faute? Aux parents, aux profs, aux médias, aux musulmans eux-mêmes ? Probableme­nt un peu celle de chacun de ces acteurs. Heureuseme­nt, même si cette incompréhe­nsion est une réalité, elle n’en est pas moins révocable. Nombre de Québécois de tous âges ne demandent qu’à se faire expliquer, qu’à comprendre — mes élèves et moi les premiers.

Si la catastroph­e du 29 janvier ouvre un réel dialogue entre les laïcs et la communauté musulmane du Québec, ce sera un léger baume sur la douleur que nous ressentons tous depuis trois semaines, peu importe où loge notre foi.

Est-ce seulement moi ou, hélas, il manque une courroie de transmissi­on à la communauté musulmane pour nous aider à mieux la comprendre ?

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