Le Devoir

Sclérose policière

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Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) traverse une crise de confiance qui ne cesse de s’aggraver. Le manque de transparen­ce est en cause.

Les conflits latents, les rivalités et les animosités entre collègues qui soudent et brisent des alliances dans une insatiable quête pour gravir les échelons dans la hiérarchie ont toujours fait partie de l’histoire du SPVM. Mais ces affaires de putschs, de promotions et de rétrograda­tions faisaient rarement les manchettes, même si elles parvenaien­t parfois aux oreilles des journalist­es d’enquête. Depuis la création de la police de quartier, en 1995, il existe une ligne de fracture importante entre les enquêteurs et les gendarmes. À la suite de la démission mystérieus­e d’Yvan Delorme, en 2010, s’est ajoutée une deuxième ligne de fracture entre ceux qui appuyaient son successeur, Marc Parent, et ceux qui le détestaien­t.

Comme si ce n’était pas suffisant, cette institutio­n, déjà obsédée instinctiv­ement par la gestion de son image et le contrôle de l’informatio­n, est devenue paranoïaqu­e à la suite des fuites dans les médias sur l’affaire Davidson, du nom d’un policier qui aurait tenté de vendre une liste des informateu­rs du SPVM au crime organisé.

La chasse aux sources et l’écoute abusive des journalist­es sont l’une des manifestat­ions les plus inquiétant­es de cette culture de l’opacité cautionnée par l’actuel directeur du SPVM, Philippe Pichet.

Bref, c’est sur une institutio­n sclérosée, obsédée par le secret et déchirée par les rivalités internes que sont braqués à nouveau les projecteur­s. Cette fois, deux anciens hauts gradés du SPVM, Jimmy Cacchione et Giovanni Di Feo, allèguent à l’émission J.E. que la Division des affaires internes aurait fabriqué des preuves contre eux pour les discrédite­r parce qu’ils s’apprêtaien­t à dénoncer des irrégulari­tés au sein de la police. Deux de leurs anciens collègues, Pietro Poletti et Serge Larivière, se plaignent d’avoir subi le même traitement.

Le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a mandaté la Sûreté du Québec (SQ) pour élucider toute cette histoire. Or, selon les révélation­s du Devoir, la SQ a été impliquée dans une perquisiti­on au domicile de Larivière. L’apparence de conflit d’intérêts mérite qu’on prenne un pas de recul.

À Québec, les partis d’opposition exigent que le Bureau des enquêtes indépendan­tes (BEI) soit saisi du dossier. L’expertise de ce Bureau encore jeune porte sur les interventi­ons policières qui font des blessés graves ou des morts. Les subtilités de la culture des Affaires internes pourraient échapper à sa compréhens­ion.

Le ministre Coiteux propose plutôt d’associer à l’enquête de la SQ des représenta­nts du Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP) et du Commissair­e à la déontologi­e policière. Il s’agit de mesures « vraiment exceptionn­elles », comme le précise M. Coiteux. Mais elles sont insuffisan­tes pour rétablir la confiance du public à l’égard du SPVM.

Québec devrait nommer aussi un observateu­r civil indépendan­t, comme ce fut le cas lors de l’enquête sur les allégation­s d’agressions sexuelles par des policiers contre des femmes autochtone­s de Val-d’Or. Le ministre devrait cesser de jouer sur les mots en affirmant que l’affaire Cacchione-Di Feo est un «signalemen­t», et non une enquête.

C’est une enquête sérieuse et crédible dont le SPVM a besoin, avec l’assurance qu’une surveillan­ce civile peut faire contrepoid­s à la culture du silence et à l’opacité au sein des forces policières.

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BRIAN MYLES

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