Le Devoir

Une ministre en sursis

-

Stéphanie Vallée s’est vue dépouillée d’une partie de ses responsabi­lités de ministre de la Justice. Elle perd la face, mais il importe avant tout que justice suive son cours à la suite de l’arrêt Jordan.

Afin d’éviter l’abandon en rafale de poursuites contre des magouilleu­rs débusqués par l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC), le premier ministre Philippe Couillard a confié à Denis Marsolais, qu’il a nommé conseiller spécial au Conseil exécutif, le mandat de remédier à la crise des délais en matière de justice criminelle et pénale à la suite de l’arrêt Jordan.

Après des mois d’atermoieme­nts, le gouverneme­nt Couillard a pris le taureau par les cornes. Et le premier ministre a décidé de placer l’opération sous son autorité. Mais on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. C’est tout un désaveu pour la ministre de la Justice, procureure générale et jurisconsu­lte du gouverneme­nt, dont les responsabi­lités singulière­s reposent sur son indépendan­ce à l’égard du premier ministre. L’adage veut que seul le ministre de la Justice puisse dire non au chef du gouverneme­nt. On voit mal Stéphanie Vallée tenir tête à Philippe Couillard. Dans son rôle de ministre, elle a plutôt l’air de répéter conscienci­eusement une leçon qu’elle aurait apprise par coeur. L’ancien ministre de la Justice, Paul Bégin, et l’opposition officielle ont dénoncé cette «tutelle», cette entorse à l’indépendan­ce de la fonction. Une nuance s’impose toutefois: le rôle de Denis Marsolais se borne à l’administra­tion de la justice. Ainsi, il n’a rien à voir avec le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP).

Au regard de la grève des juristes de l’État, Stéphanie Vallée a fait preuve d’une passivité sans faille, laissant l’économiste et président du Conseil du trésor, Carlos Leitão, envenimer le conflit, avant que Pierre Moreau ne prenne la relève.

Si d’aventure les juristes de l’État acceptaien­t prochainem­ent de reprendre leur travail, c’est à Stéphanie Vallée qu’incomberai­t la tâche titanesque de venir à bout des retards accumulés durant la grève: plus de 6000 causes civiles et administra­tives ont été remises, selon les dernières évaluation­s.

En revanche, la ministre de la Justice n’a plus à piloter le projet de loi 62 sur la neutralité religieuse de l’État, dont le premier ministre a reporté l’étude à l’automne. Déjà, la défense de ce projet de loi, qui ne fait pas l’unanimité, a testé ses limites.

Stéphanie Vallée n’est peut-être pas sous tutelle. Mais elle est une ministre en sursis, mûre pour relever de nouveaux défis, comme le veut l’expression consacrée.

 ??  ?? ROBERT DUTRISAC
ROBERT DUTRISAC

Newspapers in French

Newspapers from Canada