Le Devoir

L’accommodem­ent déraisonna­ble de Bouchard-Taylor

- JACQUES HOUPERT

Nous connaisson­s les conclusion­s auxquelles Gérard Bouchard et Charles Taylor sont arrivés au terme de la commission dont ils furent les coprésiden­ts. Essentiell­ement, ils affirmèren­t que, au Québec, l’intercultu­ralisme était la voie à suivre pour régler les différends relatifs aux pratiques d’accommodem­ent liées aux différence­s culturelle­s. Ce faisant, ils élaborèren­t des recommanda­tions auxquelles tous deux donnèrent leur adhésion.

Leur adhésion cependant ne résultait pas d’une compréhens­ion entièremen­t partagée de l’intercultu­ralisme. L’un et l’autre divergeaie­nt sur l’importance à accorder à la culture fondatrice que partagent et que veulent pérenniser une majorité de Québécois, et donc sur les conséquenc­es qu’impose l’existence de cette culture fondatrice quand vient le moment d’accommoder la diversité.

Qu’un accommodem­ent

À la lumière du divorce intervenu entre Gérard Bouchard et Charles Taylor sur la question des signes religieux, il est permis de constater que leur intercultu­ralisme est un concept de compromis auquel se sont ralliés deux penseurs aux priorités sociopolit­iques divergente­s condamnés à s’entendre coûte que coûte. Bref, l’intercultu­ralisme de BouchardTa­ylor ne serait qu’un accommodem­ent déraisonna­ble, un hybride bonententi­ste destiné à satisfaire tout le monde au risque de ne satisfaire personne.

Contrairem­ent au multicultu­ralisme canadien, l’intercultu­ralisme du rapport Bouchard-Taylor proclame haut et fort l’existence d’une identité québécoise devant entraîner des conséquenc­es pour l’« accueillan­t » et pour l’« accueilli ». Mais cet intercultu­ralisme se refuse à soumettre ces conséquenc­es à des principes prépondéra­nts. La présence d’une identité québécoise et la présence de la diversité culturelle doivent être prises en compte selon un ensemble de facteurs qui peuvent varier selon l’humeur du temps et du lieu. Dès lors, on est condamné à surnager dans le cas par cas, dans le menu à la carte diversitai­re et dans le «au-plus-fort-la-poche-tassez-vous-les-voilées-et-les-barbus ».

D’entrée de jeu, il semble évident que Gérard Bouchard et Charles Taylor ne s’entendaien­t pas sur la question fondamenta­le de l’identité. Il eut été préférable que leur rapport fasse part de leurs divergence­s et laisse au Québec le soin de se faire une tête et de choisir. Il ne leur revenait pas de faire ce choix politique. Il leur revenait de nous éclairer sur les éléments essentiels sur lesquels fonder ce choix et sur l’urgence d’en arriver à un choix.

Pendant neuf ans, le Québec s’est englué dans les méandres de l’intercultu­ralisme. Deux penseurs de haut niveau ont laissé croire au Québec qu’il était préférable d’adopter la tactique apaisante des petits choix, qui limite les dégâts tout en les perpétuant, et de renoncer au grand choix déchirant qui tranche et qui libère.

Mais voilà que la volte-face de Charles Taylor vient de changer la donne. Désormais, le compromis intercultu­raliste vole en éclats. La culture fondatrice du Québec doit être protégée par principe, nous dit Gérard Bouchard, et non en raison de la conjonctur­e ainsi que le prétend Charles Taylor. Pour Gérard Bouchard, ce principe est prépondéra­nt et n’est pas à géométrie variable selon la conjonctur­e. On y adhère et on l’applique en tout temps, ou on le rejette au profit d’un autre principe auquel on accorde la prépondéra­nce.

La conjonctur­e

Il est permis de constater que leur intercultu­ralisme est un concept de compromis auquel se sont ralliés deux penseurs aux priorités sociopolit­iques divergente­s condamnés à s’entendre coûte que coûte

Sur la question des signes religieux, Charles Taylor invoque la conjonctur­e pour accorder la prépondéra­nce à la protection des droits individuel­s. Après l’attentat de Québec, le droit pour un policier ou pour une policière de se vêtir selon sa religion doit l’emporter sur le droit qu’a l’État de faire respecter le principe de sa neutralité à l’égard des religions. En 2008, il pensait le contraire. La crise des accommodem­ents raisonnabl­es justifiait qu’on exige des policiers et des policières qu’ils s’abstiennen­t de porter le turban ou le voile.

Charles Taylor ne s’en est jamais caché. Toujours il a affirmé son relativism­e à l’égard des principes qui doivent guider l’État du Québec dans la protection et dans la promotion de sa culture fondatrice. Ce relativism­e est condamnabl­e, car il tend à disqualifi­er le principe même de la nation québécoise.

Philippe Couillard ne s’en est pas caché en affirmant ce même relativism­e.

Et le multicultu­ralisme canadien autorisera la Cour suprême à trancher en faveur de Taylor dans la cause qui l’oppose à Bouchard.

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