BGL au grand écran, enfin
Les doigts d’une main suffisent pour compter les longs métrages documentaires consacrés aux actuelles figures de l’art contemporain québécois. De là la surprise devant ce BGL de fantaisie, de Benjamin Hogue, que les Rendez-vous du cinéma québécois présentent ce vendredi en grande première.
Marc Séguin, David Altmejd, Corno, oui, aussi. Trois artistes, comme par hasard, qui se sont payé un pied-àterre new-yorkais. Le rêve international attire les caméras, pas de doute. Ajoutez l’ATSA, dont le militantisme était destiné à être filmé par le regretté Magnus Isacsson. Enfin, comme cinquième élément, BGL, le collectif de Québec qui fait sensation presque à chaque coup depuis 20 ans.
«C’est peut-être difficile de filmer des artistes. Ils sont conscients de leur image », concède Benjamin Hogue. Lui-même a dû se faire convaincant avant d’avoir l’accord du trio. Aussi chaleureux et pince-sans-rire soient les membres de BGL, ils ont longtemps refusé de se montrer dans la presse. Les voilà sur grand écran, y compris en salle commerciale quelque part au mois de mai. Mais pas au petit écran, regrette Hogue.
S’ils sont rares les artistes vivants à attirer l’attention des collègues cinéastes, ceux-ci sont par le fait même très peu nombreux à s’y intéresser. Sous cet angle, Benjamin Hogue est un cas rare. Le directeur de l’Observatoire du documentaire n’a pas signé un, mais deux portraits d’artistes, si on tient compte de Lemoyne (2005), coréalisé avec Simon Beaulieu et Christian Laramée sept ans après la mort du sujet, le peintre Serge Lemoyne.
Hogue ne se considère pas comme un spécialiste des arts. Les BGL, il les connaissait, sans plus. Il s’y est intéressé un peu par hasard, hasard qui l’a mené, un jour, à passer la nuit dans leur atelier. Comme ensorcelé par «le capharnaüm artistique » que formaient des objets en « compost de création », le cinéaste a osé leur demander : «Les gars, ça ne vous tenterait pas, un film sur vous ? »
Une longue fidélité
Une fois envoûté, le jeune réalisateur, auteur jusque-là de deux seuls documentaires, a reconnu la richesse du sujet. La couleur des matériaux, la lumière qui en émanait, la création pure derrière chacune des installations… Sans prétention autre que celle de plaire, comme chez Lemoyne. Et puis, il y avait cette longue complicité.
«Ils sont trois, ils travaillent ensemble depuis 20 ans, avec le même esprit de candeur. Ils sont fidèles, comme une famille », admire celui dont le propre trio n’a vécu que le temps d’un film.
Le tournage s’est étalé sur deux ans, mais c’est un autre hasard qui s’est pointé dans les premiers mois. «Je n’avais l’intention que de filmer dans l’atelier. C’était le bricolage qui m’intéressait. Je voulais que le spectateur voie l’inventivité de BGL, comment il recycle son propre travail. Puis, en 2014, les trois projets sont arrivés.»
Ces trois projets, ce sont trois gros lots gagnés par BGL: deux concours d’art public, l’un à Toronto, l’autre à MontréalNord, ainsi que l’invitation à occuper le pavillon canadien de la Biennale de Venise. La caméra suit la réalisation de ces trois oeuvres monumentales, à plusieurs niveaux, y compris les négociations parfois ardues avec les gestionnaires.
BGL de fantaisie est bien plus qu’un film sur le work-in-progress. C’est une véritable rétrospective que Hogue signe, grâce aux documents d’archives qu’il insère ici et là, au travers de ses propres séquences.
De véritables bijoux en émanent, alors que les trois comparses apparaissent plus verts, presque bambins, non moins drôles. Les chefs-d’oeuvre du groupe, oeuvres souvent éphémères, renaissent sous le travelling d’une caméra, tel le célèbre À l’abri des arbres, de 2001. BGL, une rareté en images? Détrompez-vous.
«Je voulais filmer sans archives. Mais ils m’ont donné leurs boîtes. Leur parcours est intéressant, d’une grande diversité », confie le réalisateur. Il croit enfin avoir percé ce «BGL impénétrable» et réussi à montrer ce qui se passe dans l’esprit du «monstre à trois têtes».