De la grande visite de la côte est
L’Orchestre symphonique de Boston n’avait pas mis la baguette à Montréal depuis 1984 !
Les visites au Québec des grands orchestres de la côte est sont rares. S’agissant de l’Orchestre symphonique de Boston, sa venue samedi prochain à la Maison symphonique de Montréal met fin à une disette de 33 ans.
Les distances sont courtes, le fossé quasi infranchissable. Les visites des homologues américains de l’Orchestre symphonique de Montréal sont choses fort rares, et celles du Philharmonique de New York, tout de suite après l’ouverture de la Maison symphonique, en 2011, et de l’Orchestre de Philadelphie avec Charles Dutoit à Lanaudière la même année, font figure d’exceptions.
La dernière venue de l’Orchestre symphonique de Boston (BSO) date du 9 mars 1984, sous la direction de Seiji Ozawa, directeur musical de 1973 à 2002. Ozawa avait dirigé l’ouverture d’Idomeneo de Mozart, la symphonie «La chasse» de Haydn et la Sinfonia domestica de Strauss. Ozawa avait à l’époque au BSO un assistant nommé Kent Nagano, qui huit mois plus tard sera jeté dans le grand bain en le remplaçant dans la 9e de Mahler. C’est dans cette même symphonie qu’a eu lieu le coup de foudre entre Kent Nagano et l’OSM, en mars 1999…
Les invités apportent leurs patates
Le concert du samedi 4 mars a ceci de particulier que le BSO vient nous jouer la Symphonie fantastique, idée a priori saugrenue tant l’oeuvre est associée à l’histoire de notre propre orchestre. Un peu comme si on apportait ses propres fraises à l’île d’Orléans ou sa poutine à Drummondville…
Interrogé en ces termes par Le Devoir, Andris Nelsons, directeur musical, dit reconnaître «la grande tradition de la musique française au Canada» et nous prie de croire qu’il «n’y a aucune idée de compétition». «Nous voulons partager la grande tradition que l’Orchestre symphonique de Boston a depuis Charles Munch avec cette symphonie. C’est, aussi pour nous, une oeuvre emblématique et je veux la partager honnêtement avec le public. Nous aurions pu venir avec Chostakovitch ou Bruckner, mais le répertoire français est attaché à notre orchestre, et chaque orchestre est différent», ajoute le chef.
Andris Nelsons pense que l’idée d’une uniformisation internationale des sonorités d’orchestres a fait son temps: «On en parlait beaucoup il y a 10 ou 20 ans, mais je trouve que désormais, les orchestres cultivent leur propre personnalité.» Dans Chostakovitch, Nelsons trouve le BSO «intense, tant dans le sarcasme que dans la beauté, dans les arêtes que dans les reflets sombres». Il en résume ainsi les caractéristiques: «Il y a une tradition, à Boston, d’un son riche, comme crémeux, puissant mais jamais forcé.»
La nouvelle vedette de DG
Pour Deutsche Grammophon, Andris Nelsons est en quelque sorte le nouveau Herbert von Karajan. La nouvelle vedette de la marque de disques jaune nous dévoile ses plans : «Je vais enregistrer une intégrale Chostakovitch à Boston, incluant l’opéra Lady Macbeth de Mtsensk; une intégrale des symphonies Bruckner, associée à des ouvertures de Wagner, avec l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, dont je prends la direction la saison prochaine et, avec le Philharmonique de Vienne, les Neuf Symphonies de Beethoven pour le jubilé du 250e anniversaire de la naissance de Beethoven en 2020.»
Confronté à l’idée qu’un chef de 38 ans aurait peut-être mieux à faire, pour assurer le renouvellement et la pérennité de la musique classique, que de réenregistrer les Beethoven et Bruckner, Andris Nelsons reconnaît: «Il y a d’autres répertoires possibles. Nous sommes en mission et avons le devoir de diriger de la musique de notre temps. Ainsi, je crée cette semaine un Triple Concerto de Sofia Goubaïdoulina et nous envisageons des commissions conjointes entre Leipzig et Boston», mais dans le même souffle, «comme l’éducation musicale dans les écoles n’est plus ce qu’elle était», il insiste sur le fait qu’il «ne faut pas oublier les géants du passé».
«Le monde change et la musique est le reflet de son époque. Il est donc important de faire parler Beethoven, Bruckner et Chostakovitch aujourd’hui et légitime, en les enregistrant, de partager votre vision, notre compréhension de ces compositeurs», pense Andris Nelsons, qui se fend d’un aveu inattendu: « Je suis plutôt timide, et Bruckner, par exemple, encourage les gens à devenir plus braves!»
Une riche histoire
Les liens de l’Orchestre symphonique de Boston avec Montréal remontent à 1893. Le chef d’orchestre de l’époque se nommait Franz Kneisel. Tous les chefs légendaires du BSO, Pierre Monteux, Serge Koussevitzky, Charles Munch, Erich Leinsdorf et Seiji Ozawa se sont produits ici. Malgré le règne de 30 ans d’Ozawa, ce sont les passages à Boston de Serge Koussevitzky (1924-1949) et Charles Munch (1949-1962) qui ont marqué l’histoire de la musique, le premier en matière de musique russe et contemporaine, avec d’innombrables commandes capitales (Concerto en sol de Ravel, Concerto pour orchestre de Bartók, Symphonie de psaumes de Stravinski), le second en poursuivant la politique de Koussevitzky (Symphonie no 2 de Dutilleux, Symphonie no 6 de Martinu) et en imposant une tradition de musique française, rémanente bien au-delà de sa mort.
La rupture du contrat d’enregistrement avec Philips en 1994, en raison des coûts d’enregistrement élevés que ne compensaient plus des ventes de CD déjà en déclin, a ouvert une longue traversée du désert médiatique pour le BSO, que l’orchestre a eu peine à compenser. Grâce à Andris Nelsons, l’orchestre revient sur le devant de la scène et ses deux premiers disques de l’intégrale Chostakovitch ont remporté chacun un Grammy. L’ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE BOSTON À MONTRÉAL Mozart: Concerto pour piano no 22. Berlioz: Symphonie fantastique. Emanuel Ax (piano). Andris Nelsons (direction). À la Maison symphonique de Montréal, le samedi 4 mars à 20 h.