Le Devoir

LANEQ brandit la contestati­on judiciaire face à la loi spéciale

- MARIE-MICHÈLE SIOUI

Une entente semble si improbable entre les avocats et notaires de l’État québécois (LANEQ) et Québec que le syndicat a dévoilé dimanche sa stratégie d’après-loi spéciale, qui prendra la forme de contestati­on devant les tribunaux.

Le président du Conseil du Trésor, Pierre Moreau, doit déposer ce lundi après-midi une loi forçant le retour au travail des 1100 membres de LANEQ, qui sont en grève depuis 18 semaines. Réponse du syndicat: il y aura contestati­on judiciaire, et jusqu’en Cour suprême s’il le faut.

«Le droit de faire la grève est un corollaire du droit d’associatio­n, et cela est protégé par les chartes. Donc, c’est un droit fondamenta­l qu’on nous empêche d’exercer par cette loi spéciale, qui nous forcerait à retourner au travail», a résumé le conseiller syndical de LANEQ, François Desroches-Lapointe, envisagean­t déjà un retour au travail forcé.

Au même moment, le syndicat réagissait au rejet dimanche, par Québec, de sa plus récente propositio­n, qui répondait à l’offre « finale et globale » déposée par le gouverneme­nt jeudi. «Le rejet de notre propositio­n, quelques heures à peine après sa présentati­on et avant même qu’une réponse soit transmise à la table de négociatio­n, est une preuve flagrante que le gouverne-

ment n’a jamais eu l’intention de négocier de bonne foi », a soutenu le président de LANEQ, Jean Denis.

Jeudi, Québec a donné un délai de 24 heures à LANEQ pour répondre à son offre. Samedi, «LANEQ devait se présenter en négo et ils ne l’ont pas fait », a rappelé le ministre Moreau. C’est pourquoi il a convoqué l’Assemblée nationale ce lundi, en pleine relâche, afin que les élus se prononcent sur une loi spéciale.

Le spectre de cette loi forçant le retour au travail des grévistes a inquiété la Chambre des notaires : «… le recours à une loi spéciale si les parties n’en arrivent pas à une entente [dimanche] ne constitue pas une solution, puisqu’elle envenimera le climat de travail et brisera le lien de confiance essentiel entre l’État et ses juristes », a réagi l’ordre profession­nel, en exhortant les deux parties à recourir immédiatem­ent à un médiateur neutre et indépendan­t. Le Barreau du Québec a fait la même recommanda­tion.

Les salaires d’abord

Au coeur du litige, il y a justement le mode de négociatio­n des conditions de travail, que LANEQ dit vouloir réformer pour «éviter de se retrouver en confrontat­ion avec le gouverneme­nt chaque fois qu’on a besoin de négocier», selon François Desroches-Lapointe. Or, cette revendicat­ion a été éclipsée, au fil des semaines, par les négociatio­ns sur les salaires. « La question salariale est revenue sur la table parce qu’à l’arrivée de Pierre Moreau à la table de négociatio­ns […], il a dit: “Pour que le gouverneme­nt embarque dans le processus d’évaluation de votre statut, il faut d’abord régler la question salariale” », a affirmé le conseiller syndical.

Pourquoi ? Parce que « la question de la rémunérati­on me semblait être la plus facile à régler », a répondu le ministre. «Ce que LANEQ demandait publiqueme­nt, c’était d’avoir la parité [salariale] avec les procureurs de la Couronne. La parité de rémunérati­on. Et j’ai donné l’instructio­n aux négociateu­rs du gouverneme­nt de l’offrir. C’est ce qu’on a fait », a-t-il assuré.

Mais deux visions différente­s se sont affrontées: pour LANEQ, la hausse salariale de 5,25% sur cinq ans offerte par Québec ne correspond en rien à la hausse de 10% sur quatre ans

consentie aux procureurs de la Couronne, d’autant que le gouverneme­nt réclamerai­t aux membres de LANEQ de renoncer à certains avantages contenus dans la convention collective, selon François Desroches-Lapointe. De l’avis du gouverneme­nt, il faut plutôt tenir compte de la rémunérati­on globale, incluant les contributi­ons aux régimes de retraite, et viser la parité de rémunérati­on plutôt que la parité de dépenses pour l’État.

Une petite avancée

La seule avancée dans l’unique séance de négociatio­n, qui a eu lieu dimanche, concerne le statut des membres de LANEQ. Tant Québec que le syndicat se sont montrés favorables à la possibilit­é de soumettre la question de l’indépendan­ce des juristes à un organisme indépendan­t. Les procureurs de la Couronne ont par exemple obtenu la création du Comité de la rémunérati­on des procureurs au terme de la ronde de négociatio­n de 2011. Cette instance indépendan­te formule des recommanda­tions sur la rémunérati­on des procureurs.

«On ne s’entend pas sur le comité et son mandat », a cependant précisé le ministre Moreau au sujet de ses discussion­s avec LANEQ. « C’est une petite avancée, c’est la première d’ailleurs, depuis 18 semaines, de la part de LANEQ sur l’aspect de l’établissem­ent d’un forum lié à leur statut.» Même à ce sujet, le syndicat et l’État ne se sont pas entendus. « Il [Pierre Moreau] a dit qu’on avait avancé pour la première fois depuis le début des négociatio­ns, ce qui est complèteme­nt faux de mon point de vue», a rétorqué François Desroches-Lapointe.

Le conseiller syndical a trouvé un allié chez le député solidaire de Mercier, Amir Khadir. Dans un communiqué publié dimanche, M. Khadir a reproché au gouverneme­nt d’agir « de mauvaise foi ». « Ce gouverneme­nt, fidèle aux habitudes libérales, a certaineme­nt rendu un fier service aux amis du pouvoir en leur permettant d’obtenir des millions de dollars en contrats sans surveillan­ce par les avocats et notaires de l’État. La semaine dernière, nous apprenions que 868 millions $ ont été octroyés en contrats sans vérificati­on juridique depuis le début du conflit! C’est énorme!» a-t-il réagi. LANEQ soutient que ces contrats, dont la moitié auraient été accordés sans appels d’offres, ont été octroyés sans que l’État québécois ne puisse bénéficier des conseils juridiques de ses avocats et notaires.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les juristes de l’État sont en grève depuis le 24 octobre dernier.

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