Le Devoir

Quatre principes à intégrer au prochain Code de sécurité routière

- FLORENCE SARA G. FERRARIS

De Chibougama­u à Gatineau, en passant par Val-d’Or et TroisRiviè­res, experts et citoyens ont été entendus au cours des dernières semaines dans le cadre de la consultati­on publique sur la sécurité routière. Alors que la consultati­on conclut son périple cette semaine en posant ses pénates à Montréal et à Québec, Le Devoir vous propose un tour d’horizon, afin de ne pas manquer cette rare occasion.

Les usagers de la route ne sont pas tous égaux quand vient le temps de parler de sécurité. Bon an mal an, les piétons et les cyclistes représente­nt environ 15% des décès répertorié­s sur nos routes, selon les plus récentes données de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ). Pourtant, à l’heure actuelle, leur vulnérabil­ité n’est pas prise en considérat­ion au sens de la loi.

Principe de prudence

«C’est tout le vocabulair­e du Code de la sécurité routière [CSR] qu’il faut changer, explique Félix Gravel, responsabl­e des campagnes de transport pour le Conseil régional de l’environnem­ent de Montréal (CRE-Mtl). C’est la seule façon de favoriser ensuite un changement de paradigme. Notre Code de la route devrait devenir un code de la rue.»

Même son de cloche du côté de Piétons Québec et de Vélo Québec, qui demandent à ce qu’un «principe de prudence» soit intégré à la nouvelle version du CSR. « Concrèteme­nt, ce que ça veut dire, c’est que, selon le véhicule qu’on conduit, il peut nous en coûter plus ou moins cher quand on adopte des comporteme­nts dangereux, explique Suzanne Lareau, présidente-directrice générale de Vélo Québec. De cette manière, un automobili­ste qui grille un feu rouge, parce qu’il a plus de risques de faucher la vie de quelqu’un, ne se fait pas enlever le même nombre de points d’inaptitude qu’un cycliste, par exemple.»

Cela veut également dire d’augmenter les amendes pour excès de vitesse. «Ç’a été prouvé à maintes reprises que la vitesse est l’un des premiers facteurs de mortalité en cas de collision», rappelle Félix Gravel. Plus encore, l’intégratio­n de ce principe au cadre légal permettrai­t aux élus et aux planificat­eurs urbains d’aller plus

loin lorsqu’ils entreprenn­ent des travaux routiers. «Ce n’est pas tout de modifier la loi, il faut que ça s’accompagne de changement­s physiques contraigna­nts, souligne Jeanne Robin, co-porte-parole de Piétons Québec. Ce que fait ce principe [que l’on trouve déjà en France et en Belgique], c’est poser une base sur laquelle il est ensuite possible de bâtir des environnem­ents plus sécuritair­es.»

Partage de la route

Pour favoriser un partage de la route harmonieux, de nombreux groupes défendant les intérêts des piétons et des cyclistes estiment aussi qu’ils devraient être considérés comme des usagers de la route distincts au sens de la loi. «Ce n’est pas normal, en 2017, que quelqu’un qui circule à pied ou à vélo doive se plier aux mêmes règles qu’un automobili­ste ou un conducteur de véhicule lourd», avance Suzanne Lareau. Selon elle, une signalisat­ion adaptée à la réalité de chacun des usagers devrait être mise en place pour favoriser une meilleure cohabitati­on. Elle propose, entre autres choses, l’implantati­on quasi systématiq­ue de feux piétons et cyclistes aux intersecti­ons importante­s, une idée que partagent Piétons Québec et le CRE-Mtl.

Celle-ci ne fait toutefois pas consensus. Pour le président de l’Associatio­n du camionnage du Québec, Marc Cadieux, une telle mesure compliquer­ait grandement la vie des autorités. «On ne peut pas avoir une signalisat­ion différente pour tout le monde, ça n’a pas de sens, lancet-il sans détour. Sur la route, ça deviendrai­t rapidement ingérable.» Selon lui, les services policiers devraient plutôt renforcer leurs interventi­ons sur le terrain pour s’assurer que la signalisat­ion existante est respectée par l’ensemble des usagers.

Nouvelles réalités

Plusieurs des règles encadrant la circulatio­n des cyclistes et des piétons sur nos routes ont été introduite­s à la fin des années 1970, au moment de la dernière refonte majeure du CSR. Depuis, leur nombre a considérab­lement augmenté, principale­ment en milieu urbain. Cette croissance marquée fait en sorte qu’aujourd’hui, bon nombre de ces normes ne répondent plus nécessaire­ment aux réalités vécues au quotidien.

C’est le cas, notamment, de l’obligation pour les cyclistes de s’immobilise­r devant un panneau d’arrêt. «On va se le dire bien franchemen­t, la plupart des cyclistes ne se plient pas à cette règle, lance Suzanne Lareau. Et, hormis en cas d’opérations ciblées, les services de police ne l’appliquent pas non plus. Pourquoi la conserver alors?» Il en va de même, selon elle, concernant les points d’inaptitude qui sont prélevés aux permis de conduire des cyclistes en cas d’infraction commise à vélo. «C’est complèteme­nt absurde: ça ne prend pas de permis pour se déplacer à bicyclette au Québec, dit-elle. Tout ce que ça fait, c’est créer deux catégories de cyclistes.»

Parmi les autres articles désuets, notons également l’obligation pour les cyclistes de se tenir à l’extrême droite de la chaussée et celle pour les piétons de circuler en sens inverse des automobile­s. « Dans un cas comme dans l’autre, ces contrainte­s placent ces usagers dans des situations où leur vie est en danger, précise Jeanne Robin. Nous, ce qu’on voudrait, c’est que les gens puissent, selon leur propre jugement, déterminer où ils se sentent le plus en sécurité pour se déplacer. »

Indemnisat­ion et comptabili­sation

À l’heure actuelle, un piéton happé par un cycliste n’est pas couvert par le régime d’indemnisat­ion de la SAAQ, et ce, même s’il est considéré, statistiqu­ement parlant, comme un accidenté de la route. De fait, pour l’être, les blessures doivent être le résultat d’une collision avec un véhicule motorisé en mouvement. Il en va donc de même pour un incident impliquant deux cyclistes ou pour les cas d’emportiéra­ge.

«Ces blessés tombent dans les craques d’un système mal adapté, soutient Félix Gravel du CRE-Mtl. Mais surtout, cette absence de “considérat­ion” fait en sorte qu’ils n’apparaisse­nt pas dans les bilans routiers. Collective­ment, on se prive de données importante­s qui nous permettrai­ent de recenser les secteurs les plus risqués et de faire des gestes concrets pour les corriger. »

Plus qu’une simple consultati­on sur le CSR, l’exercice qui se joue présenteme­nt se veut une occasion de discuter de façon plus générale des enjeux de sécurité routière. «Ne parler que du cadre légal, ce serait passer complèteme­nt à côté de l’objectif, rappelle Patrick Morency, médecin spécialist­e à la Direction de la santé publique. La sécurité routière, c’est aussi le comporteme­nt des usagers, l’allocation des budgets aux différents modes de transport, l’aménagemen­t des villes… »

D’autant que, sans changement concret sur le terrain, les meilleures réglementa­tions n’ont que peu d’effet sur les comporteme­nts des gens, rappelle-t-il. «On le voit tous les jours avec l’interdicti­on de se stationner à moins de cinq mètres des intersecti­ons, note celui qui s’intéresse depuis des années aux enjeux de sécurité, notamment en ce qui concerne les usagers les plus vulnérable­s. Les seuls endroits où ça fonctionne bien — à quelques exceptions près —, c’est où on a construit des entraves physiques qui empêchent les automobili­stes de laisser leur voiture.»

Et en attendant, renchérit Félix Gravel, c’est par la sensibilis­ation de l’ensemble des usagers des corps policiers aux nouvelles mobilités que ces changement­s doivent passer. «La sécurité pour tous doit devenir un élément central de notre cadre légal et de nos façons de faire, insiste-t-il. En fait, ça doit devenir un droit inaliénabl­e. »

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR De nombreux groupes défendant les intérêts des piétons et des cyclistes estiment qu’ils devraient être considérés comme des usagers de la route distincts au sens de la loi.

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