Actualités › Se faire cuisiner. Une chronique de Jean-François Nadeau sur la démocratie.
Chaque politicien bombe volontiers le torse en réaffirmant son statut de démocrate — prenez le cas Justin Trudeau. Pourtant, pratiquement aucun n’est enclin, le temps venu, à aller du côté d’une vraie réforme du mode de scrutin — prenez le cas de Justin Trudeau.
En avril 1978, l’avocat Robert Burns, alors ministre d’État à la Réforme électorale et parlementaire, s’était vu refuser par le Conseil des ministres la permission de tester un nouveau mode de scrutin dans certaines municipalités. Son projet prévoyait que le quart des conseillers des quatre grandes villes du Québec, soit Montréal, Laval, Longueuil et Québec, soit élu selon un scrutin proportionnel.
C’eût été selon lui un premier pas vers une plus juste représentation des citoyens. Mais ce n’est pas dans cette direction qu’on s’est empressés d’aller depuis. D’ailleurs, à entendre les maires Labeaume et Coderre, la vie démocratique municipale va si bien chez nous qu’elle pourrait même faire marche arrière sans problème.
Le jour de la Saint-Valentin, en commission parlementaire, le maire Labeaume ne s’est pas laissé aller à des déclarations d’amour. Il est allé jusqu’à arguer que les référendums municipaux sont antidémocratiques. «On contourne le résultat des élections pour des cas particuliers», dit-il pour justifier son désir de les juguler. Si des citoyens ne sont pas contents, ajoute-t-il, ils n’ont qu’à se présenter aux élections.
Au mépris des principes qui commandent l’équilibre dans une société démocratique, le maire Coderre emboîte le pas quelques jours plus tard. Il estime lui aussi que «le référendum devrait être enlevé».
Non que l’usage de ces consultations municipales ne puisse pas soulever des questions ni souffrir quelques améliorations. Mais de là à plaider qu’il s’agit d’une nuisance, d’une contrainte injustifiée, voire d’un problème social, il y a là l’expression d’une assez grossière mauvaise foi devant l’importance des contrepoids en politique. Ce n’est tout de même pas comme si la stabilité des municipalités craignait en permanence d’être torpillée par des référendums! Ces consultations, même dans leur forme actuelle, apparaissent avoir au moins le mérite de faire réfléchir un peu mieux à des projets d’aménagement urbain.
Vouloir nous persuader aujourd’hui que la vie démocratique se limite en gros à voter tous les quatre ans, c’est au fond se faire dire, pour reprendre la célèbre phrase de Jean-Paul Sartre, que l’élection n’est qu’un piège à cons.
J’en reviens à Robert Burns. René Lévesque lui avait confié plusieurs tâches, dont celles d’examiner la réforme du mode de scrutin, de la carte électorale et, surtout, d’élaborer le cadre des consultations populaires.
Burns croyait fermement que les référendums constituent un moyen de consultation du peuple à mettre au service du peuple. Mais c’est à se demander aujourd’hui si nos politiciens ne croient pas plutôt que c’est le peuple qui est à leur service.
Une démocratie digne de ce nom se nourrit d’un tout autre pain. Robert Burns, fils d’une famille ouvrière, le savait à l’évidence d’instinct. Et peut-être cela tenait-il un peu au fait que son père avait justement eu pour métier de livrer chaque matin le pain pour tous.
D’où provenait la somme de près de 2 millions de dollars que l’éditeur Marc-Aimé Guérin avait offerte à une jeune danseuse nue rencontrée au cabaret Chez Parée, se demandait le fisc? L’argent sortait du Casino de Montréal, avait répondu l’éditeur en 2009, avant d’être reconnu inapte à faire face à des accusations de nature sexuelle.
Libéré il y a quelques jours, Francesco Del Balso, ancien homme fort de la mafia montréalaise, aurait, semble-t-il, blanchi quant à lui des millions de dollars dans ce même casino.
En fait, de quel pain se nourrit un casino? On sait en tout cas qu’à celui de Montréal on servira désormais de la purée d’étoiles. Le chef multiétoilé Joël Robuchon, une multinationale dans un nom, a reçu 11 millions de l’État québécois pour y ouvrir un restaurant de 56 places. Sauf au gouvernement, tout le monde a blanchi en l’apprenant.
Tout de suite, les violons nationalistes se sont fait entendre: pourquoi un chef français pour un restaurant québécois? Les Normand Laprise, David McMillan, David Vézina, Martin Picard et autres n’étaient donc pas assez bons pour faire valoir la cuisine d’ici?
Tant qu’à faire, pourquoi ne pas se demander aussi pourquoi, dès qu’il est question de haute cuisine, ce sont toujours des noms d’hommes qui surgissent? Il me semble pourtant que ce sont surtout des femmes qui, en ce pays comme ailleurs, nous ont bien nourris.
Qu’importe: le ministre Carlos Leitão applaudit. Le ministre serait-il mis en congé d’austérité dans l’espoir de bien manger? Il dit en tout cas ceci: «les jeunes Québécois vont maintenant avoir accès à un chef de renommée mondiale pour pouvoir garder Montréal sur la carte». À croire qu’il a égaré sa propre carte quelque part.
Selon Centraide du Grand Montréal, quelque 200 000 personnes vivent en situation d’«insécurité alimentaire ». À Montréal seulement, ce sont 18 000 enfants d’âge préscolaire qui reçoivent de l’aide par l’entremise des banques alimentaires. Les centres pour itinérants n’ont jamais servi autant de repas. Ils ne suffisent pourtant pas à la tâche.
Dans nos cuisines politiques, nous avons à l’évidence affaire à de très grands chefs. Nous en payons hélas le prix.