Le Devoir

Le « mobile idiot » se dresse à contre-courant

Dans la déferlante d’appareils intelligen­ts, certains se tournent vers des téléphones qui ne servent... qu’à téléphoner

- ERWAN LUCAS à Barcelone

On le croyait enterré par des téléphones toujours plus intelligen­ts, mais il fait de la résistance: le dumbphone ou «mobile idiot», qui sert seulement à téléphoner, a encore des adeptes dans les pays émergents et dans l’Occident surconnect­é.

Ces téléphones, aussi appelés feature phones ou téléphones-briques, ce sont nos vieux mobiles: un clavier, pas d’écran tactile et une connexion au mieux 3G, qui permet de surfer sur Internet, mais pas de disposer d’applicatio­ns. Ils permettent avant tout d’être joignables, par la voix ou par texto.

La marque finlandais­e Nokia vient de ressortir l’un des appareils mythiques de cette catégorie, l’emblématiq­ue 3310, présenté dimanche en amont du Mobile World Congress de Barcelone. Sa version modernisée permettra toutefois d’utiliser des applicatio­ns.

Au-delà de Nokia, le marché des dumbphones reste non négligeabl­e: selon le cabinet Gartner, il s’en est écoulé près de 400 millions dans le monde en 2016, contre 1,5 milliard de téléphones intelligen­ts.

« C’est une façon de relancer ou accélérer la pénétratio­n du mobile. Dans des pays où le réseau n’est pas excellent notamment, cela a un sens, par exemple », explique Julien Miniconi, expert en télécommun­ications au sein du cabinet Wavestone.

Sur certains marchés émergents, comme l’Inde, il se vend toujours plus de feature phones que de téléphones intelligen­ts, les premiers représenta­nt plus de 55% des téléphones vendus au troisième trimestre 2016, selon Internatio­nal Data Corporatio­n (IDC). Plus encore, sur ce marché majeur pour l’avenir, la vente de téléphones «idiots» progresse toujours de 4% sur un an.

Mais même dans les pays dans lesquels le marché des télécommun­ications est mature, les mobiles basiques n’ont pas totalement cessé de se vendre.

«Il y a toujours un volant de terminaux de feature phones, mais aujourd’hui, ce sont tout de même des marchés de niche, soit pour ceux qui veulent du vintage, soit pour les anti-Internet mobile ou les personnes âgées », détaille Thomas Husson, analyste chez Forrester.

Un porte-étendard

Les «anti» ont même leur héraut, l’acteur britanniqu­e Eddie Redmayne, rôle principal à l’affiche des Animaux fantastiqu­es, adaptation d’un roman de l’auteur anglaise J. K Rowling, qui a choisi de revenir à un téléphone-brique en 2016.

«C’est en réaction au fait d’être sans arrêt collé à mon iPhone. Le déluge de courriels était permanent et je me suis retrouvé à tenter d’y répondre en temps réel, aux dépens de ma vie réelle », avait-il alors expliqué.

Et il n’est pas le seul: de tout âge et de divers milieux sociaux, il n’est pas rare de croiser des personnes refusant catégoriqu­ement de passer au téléphone intelligen­t.

«Un téléphone intelligen­t ne m’intéresse pas, c’est cher, fragile et je n’en vois pas l’utilité », explique ainsi Sandrine, 39 ans, illustratr­ice, « sans parler de l’aspect commercial autour, avec ce renouvelle­ment constant, ainsi que l’opacité des conditions de travail en Chine».

Les opérateurs le savent et conservent bien souvent, comme en Allemagne, plusieurs feature phones à leur catalogue afin de répondre à la demande de clients «qui veulent simplement être joignables » explique une porte-parole de Deutsche Telekom. Ces appareils servent aussi souvent de premier téléphone pour les enfants.

Est-ce cette demande qui a poussé HMD, le fabricant finlandais des téléphones sous marque Nokia, à ressortir le mythique 3310 ? Peu probable car, si depuis 2000 le 3310 s’était écoulé à près de 120 millions d’exemplaire­s, il y a peu de chances que la nouvelle version réussisse de tels scores.

«Ils ont avant tout réussi leur coup de communicat­ion, on en parle beaucoup. HMD lance trois nouveaux téléphones intelligen­ts et un mobile iconique. C’est un moyen de faire un effet de halo sur les autres modèles, en faisant reparler de la marque Nokia», estime M. Husson.

D’autant que le 3310, vendu 49euros (68$CAD), devra faire face à un marché du mobile compétitif, où promotions des opérateurs, smartphone premiers prix ou reconditio­nnés créent une concurrenc­e importante sur l’entrée de gamme.

«Les anti-smartphone, c’est un marché infinitési­mal. Entre les fabricants asiatiques ou le marché des reconditio­nnés, vous pouvez avoir un téléphone intelligen­t pour le même prix. Le marché du feature phone n’est pas viable», affirme M. Miniconi.

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EMILIO MORENATTI ASSOCIATED PRESS Vendu 68$CAD, le Nokia 3310 devra faire face à un marché du mobile compétitif.

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