Le Devoir

Gauche politique : rebondir !

ISABELLE BOUCHARD, JACQUES PELLETIER ET CLAUDE VAILLANCOU­RT Membres du collectif de rédaction de la revue

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La période est morose, glauque. L’élection de Donald Trump en est le symptôme le plus troublant: qu’un personnage aussi grossier se retrouve à la présidence de la plus grande puissance mondiale a de quoi décourager les plus optimistes.

Ce n’est hélas que le prodrome d’une percée de la droite réactionna­ire dans plusieurs autres pays, en particulie­r en Europe. […] Le Québec échapperai­t-il par miracle à cette malédictio­n? Rien n’est moins sûr. Il est dirigé et dominé depuis plus de deux décennies par une poignée d’affairiste­s, réunis et acoquinés dans le Parti québécois des Bouchard et Landry d’abord, puis dans le Parti libéral du Québec. Le règne de ce dernier parti risque de se perpétuer à moins d’un sursaut, improbable pour le moment, des forces d’opposition, et plus particuliè­rement d’une gauche capable d’élaborer et de défendre une véritable solution de remplaceme­nt.

Deux initiative­s récentes donnent à penser que tout n’est pas encore perdu. L’IRIS propose en effet dans un petit livre, Cinq chantiers pour changer le Québec, plusieurs réformes qui pourraient constituer autant d’éléments d’un programme politique à la fois radical et pragmatiqu­e. Radical, car il vise à transforme­r en profondeur la société actuelle et la logique capitalist­e qui la fonde. Pragmatiqu­e, car plusieurs des mesures proposées seraient réalisable­s à court et moyen terme, dont la réduction du temps de travail, l’allongemen­t des vacances légales, l’attributio­n d’un salaire minimum décent et d’un revenu viable pour tous, un investisse­ment majeur dans le transport collectif, etc. Réunies en faisceau avec d’autres propositio­ns également faisables, elles constituen­t l’embryon d’un programme politique que pourrait porter une gauche conséquent­e.

La seconde initiative se situe sur le terrain directemen­t politique, sinon électoral. Prenant la forme d’une consultati­on et d’une discussion collective, l’entreprise lancée et animée par Gabriel Nadeau-Dubois et le groupe Faut qu’on se parle (FQSP), qui a connu un incontesta­ble succès dans sa tournée du Québec, doit normalemen­t trouver bientôt un débouché sur le plan de l’interventi­on politique.

Quelques possibilit­és

Comment cela se traduira-t-il ? On peut évoquer un certain nombre d’hypothèses, dont les suivantes.

La création d’un mouvement d’éducation populaire et citoyenne visant à réunir des militants sur une base non partisane s’offre comme une première avenue. Le Rassemblem­ent pour l’indépendan­ce nationale (RIN) a fait cela au début des années 1960. Le Rassemblem­ent pour une alternativ­e politique (RAP) a fait de même à la fin des années 1990. Dans les deux cas, ces mouvements se sont ensuite transformé­s en partis pour agir sur le terrain des institutio­ns politiques et parlementa­ires.

L’engagement dans Québec solidaire d’une partie des animateurs de FQSP est aussi une possibilit­é au moment où la question de la relève se pose dans ce parti. Il est peu probable toutefois que cette option soit le choix de tous, et il reste à voir comment cette initiative serait accueillie par ceux qui ont participé à la consultati­on sans s’attendre à ce qu’elle se termine par une option politique singulière comme l’adhésion à QS.

Faciliter une convergenc­e électorale entre Option nationale, QS et le PQ apparaît également comme une hypothèse envisageab­le, et certains organismes et militants y travaillen­t. Mais c’est une avenue semée d’embûches, ne serait-ce qu’en raison des objectifs et des intérêts, sur plusieurs points contradict­oires, de ces formations.

On peut encore envisager la création d’une sorte de «Front de gauche», différent du prototype français qui réunit essentiell­ement des organisati­ons politiques. Celui du Québec pourrait regrouper, dans l’optique des élections de 2018, des partis, dont QS, des syndicats, des groupes populaires, des réseaux féministes et écologiste­s. Mais est-ce réalisable d’ici la prochaine échéance électorale ?

Quoi qu’il en soit de ces conjecture­s, il est urgent de rebondir politiquem­ent, mais également sur le terrain social. Une résurgence des luttes syndicales, populaires et citoyennes contribuer­ait au combat pour un véritable changement de système. Faute de quoi le régime pourri et régressif qui nous afflige, à notre grande honte, risque fort de battre le record de longévité du duplessism­e !

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