Le Devoir

Politique, médias, confiance et démocratie

- LOUIS GERMAIN Québec, membre de la commission politique du Parti québécois

La politique, c’est le métabolism­e d’une société organisée. Sans elle, il n’y a pas de société, il n’existe que des individus en concurrenc­e. Les politicien­s sont dès lors essentiels à la société.

Les médias, c’est le système nerveux de la société. Ce sont eux qui transporte­nt l’informatio­n quant à l’état des lieux, aux problèmes à régler, aux décisions politiques et leurs conséquenc­es.

La démocratie, c’est l’exercice du pouvoir, la prise de décision par l’ensemble des citoyens, par l’entremise des politicien­s. Il en découle que la confiance, entre citoyens et politicien­s, est essentiell­e à la démocratie.

Notre démocratie est en danger parce que cette confiance est actuelleme­nt au plus bas.

Les politicien­s sont la plupart du temps perçus, sauf par ceux qui les côtoient régulièrem­ent, comme guidés par leurs propres intérêts plutôt que par les intérêts de la société. Pourquoi ? Entre autres raisons, parce que plusieurs politicien­s sont effectivem­ent guidés par leurs propres intérêts, ce que les médias dénoncent très efficaceme­nt.

Quant à la majorité des politicien­s, guidés par les intérêts de la société, ils s’expriment la plupart du temps en termes électorali­stes, poussés par leur parti, par la nécessité perçue et par une grande partie de l’électorat, justement.

Et c’est ici que s’instaure le cercle vicieux.

Modèle inadéquat

Le modèle économique traditionn­el des médias profession­nels est, depuis l’apparition du numérique, devenu inadéquat pour assurer leur survie. Les médias sociaux, notamment, leur font une forte concurrenc­e dans la diffusion de la nouvelle, tandis qu’une grande partie de la publicité qui leur était destinée est désormais dirigée vers Google, Facebook et consorts.

Pour contrer ce mouvement, attirer l’auditoire et, ainsi, les annonceurs, les médias ont tendance à amplifier le sensationn­alisme, le populisme, la confrontat­ion et, surtout, l’immédiatet­é.

Parallèlem­ent, pour pallier la perte de revenus publicitai­res, ils coupent dans les salles de rédaction, réduisant leurs moyens de produire l’informatio­n de qualité.

De leur côté, les politicien­s doivent communique­r. Pour le service public, mais aussi pour leur maintien au pouvoir. S’ils veulent de l’espace dans les médias, ils doivent, parallèlem­ent, verser dans le sensationn­alisme, le populisme, la confrontat­ion et l’immédiatet­é, ces instrument­s de l’électorali­sme.

L’informatio­n documentée, approfondi­e, complète, donc plus coûteuse et plus« lente », est délaissée au profit de l’ informatio­n consommati­on, de l’infospecta­cle. Parce que les médias ont besoin d’argent, parce que les politicien­s ont besoin de « temps d’antenne ».

Le public fonde alors ses opinions sur des bagatelles percutante­s, et non sur des faits bien étalés. Mal informé, il comprend mal les enjeux sociaux, la politique. Il ne connaît des politicien­s que les turpitudes de certains et retire à tous respect et confiance. Quand le citoyen comprend mal la politique et ne fait pas confiance aux politicien­s, la démocratie est carrément malade. Or, si les médias continuent dans cette voie, ils courent à leur perte. Parceque l’ informatio­n spectacle, l’ in formation-consommati­on, ça ne coûte presque rien à produire, avec YouTube, Facebook, Instagram, etc. Jamais une organisati­on profession­nelle ne pourra concurrenc­er les innombrabl­es générateur­s de « nouvelles » sur Facebook.

La seule façon de se maintenir, pour les médias profession­nels, c’est de démontrer une valeur ajoutée, c’est-à-dire la vérité et la qualité de leurs messages. De démontrer leur crédibilit­é. De se définir comme la véritable source d’informatio­n. De se démarquer des agitateurs.

Mais cela ne peut se faire qu’à l’unisson avec les politicien­s.

Ceux-ci doivent prendre conscience qu’en utilisant les médias profession­nels pour des fins partisanes et stratégiqu­es, en les court-circuitant par des tweets forcément fragmentai­res, en jouant avec la vérité, en utilisant la langue de bois, en trahissant eux-mêmes l’informatio­n par la tirade partisane, ils contribuen­t à la disparitio­n des médias profession­nels.

Et à la disparitio­n de l’informatio­n de qualité essentiell­e à la démocratie. […]

Politicien­s et médias profession­nels doivent réfléchir ensemble pour contrer ce mouvement mortifère pour la démocratie. Les uns en parlant vrai, les autres en rapportant vrai. En restaurant ainsi la confiance.

Difficile de dire ce qu’il adviendra sur la planète. Mais ici au Québec, on peut agir, localement, efficaceme­nt. Nous sommes assez petits pour pouvoir espérer un changement. Ça va requérir, au cours de la prochaine décennie, une vision initiale partagée, du leadership, des efforts considérab­les, de la constance et une prise de conscience de l’ensemble de la population, sans garantie de succès, évidemment.

Nous devons unir nos forces pour mettre au jour cette dynamique pernicieus­e qui nous lie tous.

Et la vaincre.

«La seule façon de se maintenir, pour les médias profession­nels, c’est de démontrer une valeur ajoutée, c’est-à-dire la vérité et la qualité de leurs messages»

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