Agnes Obel, le silence et la distance
L’expression est d’origine allemande : Citizen of Glass, citoyen de verre, transparent, nu. «C’est l’idée qu’une personne devient fragile comme le verre lorsqu’on la prive de son intimité, lorsqu’on lui vole tous ses secrets», explique l’auteure-compositrice-interprète Agnes Obel, qui a fait du citoyen de verre le point de départ de son troisième album, paru l’automne dernier. La Danoise viendra présenter sa précieuse pop de chambre, tissée de piano, de cordes et d’un rare synthétiseur, mardi soir au Théâtre Maisonneuve, puis au Palais Montcalm de Québec le lendemain.
« Je préfère la musique faite avec peu d’instruments. Je crois aussi que le silence peut être aussi puissant que le bruit.» Au téléphone, Agnes Caroline Thaarup Obel explique en pesant ses mots la source d’inspiration des douces chansons qui composent son récent album, tout en établissant un rapport entre sa manière de travailler et la culture de son pays d’origine.
Une approche danoise
«Je crois bien qu’il y a quelque chose de danois dans mon approche, estime-t-elle. Je pense que j’ai beaucoup de respect pour la simplicité, le minimalisme », elle qui cite volontiers Érik Satie et Maurice Ravel (des Français, pas des Scandinaves!) parmi ses influences musicales. «Je crois au pouvoir de la simplicité en musique, ça me vient peut-être du Danemark — enfin, pas spécifiquement la musique du Danemark, mais aussi un sens de l’esthétique [exprimé par exemple dans] les arts visuels, l’architecture. J’imagine que c’est un peu danois, tout ça. »
À parcourir sa brève discographie (Philharmonics en 2010, Aventine en 2013 et le récent Citizen of Glass), on retient d’abord que sa définition du minimalisme musical s’exprime sans aridité: chez Agnes, tout coule de source, doucement. Son jeu fluide de piano, les ressorts de la chanson folk qui s’expriment dans les mélodies et le verbe, et qui, d’album en album, prennent de nouvelles couleurs alors que la compositrice s’approche de la musique instrumentale classique.
Le trautonium
Surtout, la vulnérabilité du thème imposé à ce troisième album s’accompagne d’une certaine prise de risque: moins de piano, pour faire changement. D’où cette trouvaille: le trautonium, instrument électronique primitif inventé à la fin des années 1920 que l’on pourrait décrire comme la version allemande des ondes Martenot. « Le son du trautonium a quelque chose d’étrange, d’angoissant, ce genre d’émotions que je peux difficilement reproduire au piano, dit Agnes. [Un timbre] semblable à celui d’une tension sur un verre qui résonne, juste avant qu’il ne se brise. »
«C’est un ami qui m’a montré cet instrument parce qu’il savait que j’aimais le film Les oiseaux, de Hitchcock. C’est mon film préféré de tous les temps, poursuit-elle. Il y a quelque chose à propos de ce film qui illustre l’inéluctable, l’inattendu et l’inévitable… Bref, la musique du film a été enregistrée avec un trautonium. Tu vois, le bruit que font les oiseaux? C’est un trautonium. J’ignore cependant comment Hitchcock a eu connaissance de cet obscur instrument. En tout cas, un ami a réussi à en construire un, à partir du manuel d’instructions original. »
Impossible d’en emporter un en tournée, «c’est un instrument très fragile, très sensible et, de toute façon, les rares exemplaires qui existent encore sont dans des musées». Agnes Obel a soigneusement enregistré les sons de l’engin, qui confèrent à son disque ce caractère brumeux et songeur, pour les rejouer à l’aide d’un synthétiseur moderne. Sur scène, elle sera entourée de trois autres musiciennes, dont la Québécoise Kristina Koropecki; peu après son escale chez nous, elle mettra le cap sur Austin, au Texas, pour prendre part au festival South by South West. « Les conditions à Austin sont plus difficiles pour des artistes s’accompagnant de piano et de cordes, note Agnes, mais c’est chouette pour quelqu’un originaire d’un pays nordique. C’est le temps chaud en plein mois de mars ! »
Une Danoise à Berlin
Originaire de Copenhague, Agnes Obel a emménagé à Berlin pour lancer sa carrière musicale. «Je me sens de plus en plus chez moi aujourd’hui, je crois. Les villes scandinaves paraissent plus homogènes, tout le monde vit de la même manière ; c’est bien, c’est réconfortant, mais je crois que je préfère le chaos de Berlin. »
«J’y ai le sentiment d’être laissée à moi-même, enchaînet-elle. Dans le sens où je m’y sens libre : si j’étais restée à Copenhague, entourée de mes amis et ma famille, je crois que j’aurais eu la pression de devoir être à la hauteur de leurs attentes. Ce ne serait pas un bon contexte pour créer.» Saine distance dont profite la musicienne. «À Berlin, j’ai le sentiment de pouvoir faire ce que je veux. Je n’ai même pas de vraie connexion avec la scène musicale berlinoise, et la plupart des musiciens que je connais viennent d’un autre pays, comme moi. Il y a beaucoup de gens en exil comme moi dans cette ville. »