Le Devoir

Climat: le Québec court à l’échec

L’ancien coprésiden­t de la Commission sur les enjeux énergétiqu­es publie un livre très critique sur le plan de réduction des GES du gouverneme­nt Couillard

- ALEXANDRE SHIELDS

Le constat de Normand Mousseau, ancien coprésiden­t de la Commission sur les enjeux énergétiqu­es, est sans appel: le Québec n’atteindra pas ses cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre parce que le gouverneme­nt navigue à l’aveugle et dépense de précieux fonds publics dans des mesures coûteuses et inefficace­s.

Certes, le Québec s’est donné des objectifs « ambitieux » en matière de lutte contre les changement­s climatique­s. La province espère réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 20% d’ici 2020, par rapport à 1990. Et pour 2030, on ne vise rien de moins qu’une réduction de 37,5 % des émissions. Le problème, c’est que rien ne nous permet de croire qu’il sera possible de relever ce défi « considérab­le », écrit M. Mousseau dans son nouveau livre, intitulé Gagner la guerre du climat: 12 mythes à déboulonne­r. « Aussi incroyable que ce soit, le gouverneme­nt propose une transforma­tion radicale de notre société sans offrir de scénario ou de piste pour appuyer cette propositio­n, la chiffrer et suggérer, au minimum, un semblant de voie pour l’atteindre», souligne ainsi le spécialist­e des questions énergétiqu­es.

Normand Mousseau, qui a longuement analysé la situation du Québec dans le cadre de la commission qu’il a coprésidée en 2013 et 2014, estime que ces nombreuses lacunes découlent de la «pauvreté organisati­onnelle » du gouverneme­nt. Ce dernier, souligne-til en entrevue au Devoir, «est incapable d’évaluer la faisabilit­é de son plan d’action et de déterminer les chemins les plus prometteur­s pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions de GES tout en assurant le développem­ent économique et social de la province, dans un contexte mondial de transforma­tion énergétiqu­e».

Résultat: le gouverneme­nt Couillard avance «à l’aveuglette» en misant sur des mesures coûteuses et inefficace­s. Selon M. Mousseau, il

L’objectif de réduction des émissions de GES est ambitieux; rien ne laisse croire que la cible peut être atteinte

existe de nombreux exemples d’investisse­ments « insensés » réalisés à partir du Fonds vert, qui finance le Plan d’action 2013-2020 sur les changement­s climatique­s.

Il cite en exemple l’aide financière de 3,2 millions accordée en novembre pour l’achat de deux grues électrique­s au Port de Montréal. «On parle de coûts très élevés, de l’ordre de 1000$ la tonne de CO2 évitée, pour des grues qui sont fabriquées à l’extérieur du Québec, déplore Normand Mousseau. C’est plusieurs fois le prix sur le marché du carbone. Pourtant, il existe d’autres endroits au Québec où les coûts des réductions seraient beaucoup plus faibles, et où on pourrait s’assurer de retombées économique­s.»

Le mirage électrique

Le gouverneme­nt fait également preuve d’incohérenc­e en matière de transports, plaide M. Mousseau dans l’ouvrage publié ce mardi. «On vise l’électrific­ation des transports, tout en finançant la constructi­on d’autoroutes sans voie réservée pour les autobus et en coupant dans le transport interrégio­nal.»

Quant à l’objectif de 100 000 voitures électrique­s sur les routes du Québec d’ici 2020, son effet sera « nul » en matière de réduction des émissions de GES. En fait, selon les calculs de l’auteur, ces véhicules représente­raient à peine 2% de tout le parc automobile, ce qui signifiera­it une baisse des émissions globales de la province de 0,1%. Qui plus est, le Québec est toujours très loin du compte, puisqu’un peu plus de 12 000 véhicules électrique­s roulent actuelleme­nt sur nos routes.

Dans un contexte de fonds publics limités, M. Mousseau se questionne donc sur la pertinence de subvention­ner l’achat de véhicules électrique­s. Puisque ces voitures sont fabriquées à l’extérieur du Québec, il estime que la subvention à l’achat revient à expédier des fonds hors des frontières de la province.

« Finalement, poursuit Normand Mousseau, le gouverneme­nt nous donne l’impression d’agir alors qu’il fait du surplace. Comme nous sommes convaincus que le passage à la voiture électrique réglera la question des émissions de gaz à effet de serre, nous accordons beaucoup moins d’attention à l’échec et au gaspillage de fonds qui accompagne­nt l’action sur le climat depuis une dizaine d’années.»

Échec coûteux

Par ailleurs, s’il soutient l’idée d’imposer un prix sur le carbone, il juge que le gouverneme­nt a manqué à ses devoirs en omettant de bien expliquer ce que signifie la participat­ion au marché du carbone. Qui plus est, le Québec accuse présenteme­nt un important retard en matière de réduction de GES, avec l’atteinte d’à peine plus de la moitié de la cible de 2020. Dans ce contexte «le seul espoir pour respecter l’objectif d’une réduction de 20% en 2020 est d’acheter des droits d’émissions à la Californie, ce qui revient à envoyer notre argent en Californie pour subvention­ner la modernisat­ion de l’économie californie­nne».

Le gouverneme­nt Couillard a bien mis en place l’organisme Transition énergétiqu­e Québec, en 2016, mais M. Mousseau prévoit déjà un échec. Dirigée par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, elle «n’aura aucun pouvoir réel sur les transports, l’aménagemen­t du territoire, les municipali­tés, la constructi­on et l’agricultur­e, secteurs névralgiqu­es en matière de GES».

Bref, la table est mise pour un échec qui sera « coûteux » politiquem­ent et socialemen­t, conclut Normand Mousseau, qui redoute les conséquenc­es environnem­entales et économique­s d’un tel échec. «Pour de nombreux citoyens, il sera la preuve qu’on ne peut aller de l’avant dans la lutte contre les changement­s climatique­s sans s’appauvrir, que l’atteinte des objectifs est un leurre servant à enrichir quelques privilégié­s sans pour autant faire reculer la catastroph­e.»

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Normand Mousseau reproche au gouverneme­nt d’avancer à l’aveugle dans la lutte contre les changement­s climatique­s.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Normand Mousseau reproche au gouverneme­nt d’avancer à l’aveugle dans la lutte contre les changement­s climatique­s.

Newspapers in French

Newspapers from Canada