Le Devoir

Là où la route a mené.

Entretien avec Daniel Lavoie, qui monte sur scène dans le cadre de Montréal en lumière.

- SYLVAIN CORMIER

La première du spectacle de l’album Mes longs voyages, c’est ce jeudi au théâtre Maisonneuv­e de la Place des Arts, dans le cadre de Montréal en lumière. Sa combientiè­me rentrée montréalai­se, au juste? Il ne sait pas. Moi non plus. Ça en fait plusieurs, on est d’accord là-dessus. «Un pas pire spectacle », évalue Daniel Lavoie à son bout du fil. On a encore des téléphones avec des fils. «En première partie, je fais Mes longs voyages quasiment au complet. L’album pas mal tel qu’il est. Et en deuxième partie, je reprends toutes mes vieilles affaires…»

Ça ne s’entend peut-être pas dans le ton, mais l’homme est ravi. «J’y suis allé de reculons», raconte-t-il, comme pour dénoncer l’ironie du petit rire qui le saisit. «Je sortais fatigué de mes trois mois de Notre-Damede-Paris [il a repris le rôle de Frollo à l’automne, en France]. Je cherchais l’énergie. Et ce sont les musiciens qui me l’ont donnée. Chez Spectra, ils ont accepté que j’aie des cuivres. J’ai aussi retrouvé mes vieux complices. Ça me fait un gros band …» Il lâche finalement les mots qui vont avec son ravissemen­t : «On a fait deux shows jusqu’ici, les gens embarquent. Ça se passe incroyable­ment bien. Je m’amuse comme un petit fou… »

Sans point d’exclamatio­n, notez. Il y a une pointe de fatalisme dans la voix. Même le plus vif enthousias­me s’exprime avec un petit monticule de grains de sel. Oui, ça tient au fait qu’il revient de loin, Daniel Lavoie, qu’une infection pulmonaire a bien failli l’emporter. Que Mes longs voyages est par conséquent «une sorte de bilan» et pourrait bien être «le dernier album, à une époque où un album est presque devenu une chose du passé…» Ça le fait rigoler, de s’entendre ainsi conjugué. «J’ai rien à prouver, disons, après pas loin de cinq décennies de ce qu’il faut bien appeler une carrière. Mais ce n’est pas un album de fin. C’est vrai que c’est un album empreint d’une certaine sérénité par rapport à la mort, pour l’avoir côtoyée. Je me suis rendu compte que la mort, c’était pas aussi énervant qu’on pense. Alors, à travers le disque, je pense qu’il y a une acceptatio­n joyeuse. J’ai essayé d’y laisser un grand sourire malgré la finalité de la chose. Ça ne rocke pas, mais ce n’est pas lourd. Du moins, j’espère.»

La tranquille trame d’une vie

Je l’ai écrit en septembre dans ma recension, au moment de la sortie: «Tout ça compose, non pas un testament, mais un supplément d’âme, la trame d’une vie.» Il y a un peu tout Lavoie, dans ce disque. On est là où la vie l’a mené, pour paraphrase­r le titre de la chanson phare de son répertoire, qui est aussi le titre du coffret-compilatio­n de 2008: Où la route mène. Lavoie y décrit des instants d’éternité de l’enfance (Ceci est moi), s’y regarde implacable­ment (Qui es-tu je seul), y évoque sa mère qui perd la mémoire (Maman chantait les feuilles), y collabore avec Jeff Moran et Patrice Guirao, y interprète les chansons de ses préférés (Félix, Ferré, Bashung, Allain Leprest), offre une ballade jazzy cool au grand Chet (Baker): on peut dire qu’il fait le tour de son jardin d’hiver. «J’ai beaucoup, beaucoup voyagé dans ce foutu métier. Et c’est bien où j’en suis rendu.»

De Ferré, il chante… Avec le temps. Immortelle piégée par excellence: on a eu tant de versions. « Je le sais, mais je m’en foutais. C’est une chanson qui m’a profondéme­nt marqué quand j’avais 18-19 ans. Je me souviens de l’avoir entendue à Saint-Boniface, avec mes chums là-bas, au Manitoba, on se rencontrai­t le vendredi soir pour écouter de la musique. J’avais été complèteme­nt scié. J’ai toujours eu envie de la chanter, et j’ai toujours eu l’impression que j’étais ben trop jeune. Cette année, je me suis dit: c’est maintenant ou jamais. »

Ça aussi, c’est ce qu’on se dit quand on a cette conscience accrue du fait que «la vie peut basculer du jour au lendemain, que t’es juste un amas de chair qui espère…» Encore une fois, le propos le fait pouffer dans mon oreille gauche. « Parlons plutôt de la chanson de Félix, suggère-t-il. C’est sa moins connue, mais c’est celle où il se livre le plus, et c’est magnifique. » D’accord. Extrait de Mes longs voyages, chanson-titre de l’album et du spectacle: «Maintenant je suis là / Si demain je m’en vas, retiens-moi / Rejoins-moi, si je meurs / Et nous irons vivre ailleurs ».

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 ?? PEDRO RUIZ LE DEVOIR ?? Daniel Lavoie est ravi: «On a fait deux shows jusqu’ici, les gens embarquent. Ça se passe incroyable­ment bien.»
PEDRO RUIZ LE DEVOIR Daniel Lavoie est ravi: «On a fait deux shows jusqu’ici, les gens embarquent. Ça se passe incroyable­ment bien.»

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