Le Devoir

Le marché québécois du fentanyl

La drogue serait importée sous sa forme pure et transformé­e ou coupée avec d’autres drogues

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

Le démantèlem­ent par les corps policiers, la semaine dernière dans la région de Montréal, de laboratoir­es clandestin­s de drogues de synthèse, dont le puissant fentanyl, lève le voile sur la production illicite de cette drogue. Cela confirme qu’elle ne se rend pas à la rue uniquement par le détourneme­nt de prescripti­ons légales.

Pour l’instant au Québec, le fentanyl illicite semble plus souvent importé sous sa forme pure, puis transformé ici, que synthétisé du début, selon les informatio­ns dont dispose la Gendarmeri­e royale du Canada (GRC). « Il n’y a eu qu’un seul démantèlem­ent d’un laboratoir­e de synthèse jusqu’à maintenant», explique le sergent Jacques Théberge, de l’Unité d’enquête mixte sur le crime organisé.

Il y a deux possibilit­és pour les organisati­ons criminelle­s, détaille-t-il : elles peuvent faire la synthèse de la drogue à partir de produits chimiques ou faire parvenir le produit à l’état pur et fabriquer ensuite des comprimés ou couper d’autres drogues avec celui-ci, dans des laboratoir­es de transforma­tion.

«Si on observe le nombre de colis intercepté­s par l’Agence des services frontalier­s, on constate que, la plupart du temps, le fentanyl serait importé au pays sous sa forme pure», poursuit-il. Non sans risque pour toutes les personnes qui pourraient être en contact accidentel avec le produit: la dose mortelle est de deux grammes.

Il existe trois types de laboratoir­es de synthèse de drogues illégales, explique encore André Lajeunesse, du Centre internatio­nal de criminolog­ie comparée. Il y a de petits laboratoir­es tenus par des personnes qui produisent pour elles-mêmes. Elles peuvent procéder à la vente à petite échelle pour financer leur consommati­on. «Ce sont généraleme­nt des gens avec très peu de connaissan­ces en chimie», soutient le professeur de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Les groupes criminalis­és constituen­t plutôt des laboratoir­es dits «commerciau­x», dont l’objectif est financier. «Des gens qui ont certaines connaissan­ces en chimie vont généraleme­nt être impliqués dans ce genre d’installati­on », explique M. Lajeunesse.

Il arrive finalement que les enquêtes mènent à de véritables profession­nels formés en science qui savent ce qu’ils font. «Ils peuvent même pousser l’audace jusqu’à fabriquer la drogue sur leur lieu de travail, à l’insu de tout le monde», indique M. Lajeunesse.

Santé Canada réglemente des substances

Depuis le 30 novembre, Santé Canada a restreint l’accès à six substances utilisées dans la synthèse illégale du fentanyl. Ces dernières ont été ajoutées à une liste de produits pour lesquels il faut obtenir une autorisati­on pour en faire l’importatio­n, la production, la vente ou l’exportatio­n.

Une mesure qui est la bienvenue, indique le sergent Théberge de la GRC.

La police doit aussi compter sur la vigilance des citoyens pour parvenir à démanteler des laboratoir­es clandestin­s. Il cite différents indices, comme la présence d’un système de surveillan­ce sophistiqu­é, une circulatio­n irrégulièr­e, des ordures qui ne sont pas mises au chemin, le manque d’entretien ou des odeurs inhabituel­les.

Le fentanyl est 50 à 100 fois plus puissant que la morphine. Mais sa forme illégale est encore plus dangereuse pour les consommate­urs que celle qui est détournée des pharmacies ou des hôpitaux. «La forme légale, c’est un produit pharmaceut­ique soumis à un contrôle de la qualité. Dans la forme illégale, il n’y a aucun contrôle. Un comprimé pourrait ne pas contenir de substance active, alors que le suivant contient une dose mortelle », explique le Sergent Théberge.

Ce dernier avait justement été appelé au cours des derniers jours sur les sites des perquisiti­ons dans la région montréalai­se. L’enquête étant en cours, il ne pouvait toutefois donner aucun détail sur ce qu’il avait pu y observer.

Menée par le SPVM en collaborat­ion avec plusieurs corps policiers, la perquisiti­on de la semaine dernière visait quatre lieux distincts à Montréal, L’Assomption, Saint-Charles-sur-Richelieu et Brossard. Des produits chimiques ont été saisis. Le SPVM n’était pas en mesure de dire au Devoir, lundi, si ces laboratoir­es conditionn­aient du fentanyl pur importé ou s’ils le fabriquaie­nt.

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DARRYL DICK LA PRESSE CANADIENNE Le fentanyl cause une véritable hécatombe à Vancouver, où les morts par surdose se comptent par centaines. Ci-dessus, un graffiti de Smokey D.

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