Le Devoir

Un triste moment

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

La parution de Rhapsodie québécoise, d’Akos Verboczy, qui vient d’être réédité en format de poche chez Boréal, m’avait échappé l’an dernier. À l’heure où le mot «intégratio­n» est sur toutes les lèvres, ce récit du parcours d’un «enfant de la loi 101», juif hongrois arrivé au Québec à l’âge de 11 ans, tour à tour camelot de la Gazette, commissair­e scolaire et attaché politique au PQ, mérite d’être lu.

Le ton, mi-sérieux mi-blagueur, est donné d’entrée de jeu. «Je suis donc un de ces Sauveurs envoyés au Québec pour régler vos problèmes: votre économie, votre poids politique, votre endettemen­t, votre vieillisse­ment, votre pénurie de main-d’oeuvre et, bien sûr, votre fermeture sur le monde. Ça fait beaucoup de poids sur mes épaules (et sur celles de mes semblables) et beaucoup de promesses pour le Québécois de souche. Il y a de quoi avoir, avec le temps, de part et d’autre, des déceptions légitimes.»

L’auteur a débarqué au Québec alors que la loi 101 était contestée de toutes parts. «On nous a rapidement informés que le français parlé ici n’était pas le vrai français, mais un patois malpropre, dont les locuteurs étaient principale­ment des assistés sociaux, des incultes et des racistes.» On a parfois l’impression que les choses n’ont pas tellement changé depuis quarante ans.

C’est précisémen­t à force de devoir expliquer le Québec aux nouveaux arrivants qu’il a commencé à l’aimer et à l’adopter, raconte-t-il. Et à force d’avoir à le défendre qu’il est devenu souveraini­ste. Il était particuliè­rement bien placé pour mesurer les conséquenc­es du malheureux discours de Jacques Parizeau le soir du référendum: « Parler de l’instrument­alisation de l’immigratio­n pour combattre la souveraine­té est devenu le plus grand tabou politique au Québec.»

Si le discours de M. Parizeau a été un moment malheureux de l’histoire récente du Québec, Akos Verboczy en évoque un autre, qui a été moins publicisé, mais qui n’est pas à l’honneur du premier ministre Couillard.

En novembre 2013, JeanMarc Fournier, s’était attiré de nombreuses critiques pour avoir fait un rapprochem­ent entre la charte de la laïcité du gouverneme­nt Marois et le régime nazi, en évoquant les propos tenus par un rabbin montréalai­s à l’occasion d’une cérémonie commémorat­ive du 75e anniversai­re de la Nuit de cristal, le 9 novembre 1938, quand des milliers de commerces appartenan­t à des juifs et quelque 200 synagogues avaient été saccagés en Allemagne.

M. Verboczy assistait à cette cérémonie au Centre commémorat­if de l’Holocauste, à Côtedes-Neiges, où il accompagna­it la ministre péquiste de l’Immigratio­n et des Communauté­s culturelle­s, Diane De Courcy, qui avait été accueillie avec une extrême froideur, alors que la délégation libérale, dont faisaient partie MM. Couillard et Fournier, avait eu droit à l’enthousias­me qu’on manifeste à une armée de libération.

Pour respecter la solennité du moment, on avait demandé à l’assistance de garder le silence durant la cérémonie. Le rabbin avait raconté l’histoire d’un homme tué à Berlin durant la Nuit de cristal, après avoir refusé d’enlever sa kippa devant les chemises brunes nazies. À l’instar de cet homme, le rabbin avait déclaré qu’entre les interdicti­ons de la charte de la laïcité et la mort, il choisirait cette dernière.

«Philippe Couillard et consorts ont brisé le silence prescrit, se levant d’un bond pour applaudir ce choix qu’ils considérai­ent [comme] plein de bon sens. Ils savaient mieux que quiconque que la mort ne figurerait pas sur le bulletin de vote, contrairem­ent à leurs noms», écrit M. Verboczy.

Il aurait sans doute été délicat d’interrompr­e le rabbin au beau milieu de son discours. De là à se lever pour applaudir, il y a toutefois une limite qu’un aspirant au poste de premier ministre du Québec n’aurait pas dû franchir. Il est vrai que la charte du gouverneme­nt Marois ratissait inutilemen­t large, mais la comparaiso­n avec le régime nazi était si grossièrem­ent injuste qu’elle tenait de l’élucubrati­on. Il est même étonnant qu’un rabbin perde le sens de la mesure au point de banaliser de la sorte les atrocités nazies.

Quand Bernard Drainville avait présenté son projet de loi, M. Couillard avait crié à la trahison de l’héritage de René Lévesque. En point de presse, il avait fallu lui rappeler que le «grand Québécois» dont il évoquait la mémoire avait lui-même été traité de nazi pour avoir présenté la loi 101, contre laquelle le PLQ avait mené une lutte sans merci.

Le futur premier ministre avait répondu qu’il n’était pas là à l’époque. Soit, mais il était bel et bien là au Centre de l’Holocauste en novembre 2013 et il a applaudi des propos qui étaient non seulement absurdes, mais injurieux pour le Québec. S’il est incapable de le défendre, M. Couillard pourrait au moins s’abstenir d’encourager ceux qui l’accablent.

M. Couillard pourrait s’abstenir d’encourager ceux qui accablent le Québec

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