Le Devoir

Le programme Éthique et culture religieuse sorti de son contexte

- ALAIN GAGNÉ Enseignant nouvelleme­nt retraité

Depuis l’attentat au Centre culturel islamique de Québec le 29 janvier dernier, on entend politicien­s, chroniqueu­rs, commentate­urs de tous ordres faire appel à la prévention par l’apprentiss­age au vivre-ensemble sur les différente­s tribunes médiatique­s. Avec le programme Éthique et culture religieuse (ECR), nous avons déjà un outil privilégié pour éduquer les jeunes à l’analyse, à l’ouverture d’esprit, au jugement critique, à l’apprentiss­age à la vie en société et au vivre-ensemble.

Pourtant, le programme d’Éthique et culture religieuse est la cible de toutes les critiques depuis sa mise en place, et même avant. Paradoxale­ment, peu de gens connaissen­t les intentions pédagogiqu­es, les thèmes, les contenus et les compétence­s du programme d’ECR.

Je suis atterré d’entendre les positions récentes du Conseil du statut de la femme, du chef actuel du Parti québécois, M. Jean-François Lisée, du chroniqueu­r et sociologue Mathieu Bock-Côté, et j’en passe, sur le programme d’ECR. Clairement, ces intervenan­ts ne connaissen­t vraiment pas ni ne comprennen­t le programme qu’ils critiquent. Ils connaissen­t encore moins la façon dont il s’enseigne dans la pratique, sur le terrain. Tous citent des extraits du programme sortis de leur contexte en évoquant des mises en situation insignifia­ntes faites par les enseignant­s, comme si ceux-ci n’avaient ni le jugement ni les compétence­s nécessaire­s pour amener les élèves à développer le jugement critique rigoureux et une compréhens­ion intelligen­te du fait religieux. Leurs positions sont des vues de l’esprit basées sur des interpréta­tions partiales du programme d’ECR.

Tous oublient, occultent ou évitent d’évoquer la première compétence que le programme d’ECR doit permettre à l’élève de développer : réfléchir sur des questions éthiques. Donc, il ne s’agit nullement d’interdire à l’élève de porter un jugement. Au contraire, l’élève doit analyser une situation d’un point de vue éthique au moyen d’une diversité de repères d’ordre culturel, moral, religieux, scientifiq­ue ou social (valeurs fondamenta­les, droits, faits, diversité de points de vue…) et évaluer des actions possibles.

Interagir avec les autres

De plus, ces mêmes intervenan­ts parlent toujours du volet religieux de ce programme du point de vue des contenus à enseigner, à transmettr­e, sans jugement, sans analyse, alors que le mandat de l’enseignant relatif au contenu religieux est d’amener l’élève à « manifester une compréhens­ion du phénomène religieux », deuxième compétence du programme. L’élève ne doit pas s’approprier des contenus et des croyances pour les faire siennes. Il doit faire la démonstrat­ion qu’il a compris les croyances de l’autre. Ce serait mal connaître les jeunes que de croire que cette démarche altère leur jugement critique.

De plus, jamais dans ces critiques on n’évoque les contenus prescripti­fs de la troisième compétence du programme: pratiquer le dialogue. Le programme apprend aux élèves les bons outils pour interagir avec les autres, pour organiser sa pensée et pour élaborer un point de vue étayé.

En suggérant de retirer le cours d’ECR, les auteurs de cette propositio­n considèren­t-ils qu’un élève ne peut faire la part des choses et qu’il vaut mieux ne jamais aborder le phénomène religieux inhérent à l’espèce humaine, présent partout dans l’histoire de l’humanité? Amener un élève à mieux comprendre l’expression de la dimension spirituell­e des hommes et des femmes est pourtant un atout lui permettant de décoder une partie importante de l’actualité qui lui est exposée.

Alors qu’il propose de remplacer le cours d’ECR par un cours d’«éthique et citoyennet­é québécoise », doit-on comprendre que M. Lisée ne connaît pas les compétence­s du programme d’ECR ? En reléguant les contenus religieux du cours d’ECR aux cours d’histoire, à titre de phénomène social errant au gré des courants, va-t-on aider les élèves à comprendre les phénomènes religieux à la base de toutes démarches légitimes et universell­es de quêtes de sens chez l’espèce humaine ? […] Croit-on vraiment, comme on l’entend souvent sur la place publique, que les religions sont à ce point l’opium du peuple, responsabl­e de tous les conflits et de toutes les déviances, que leur simple évocation convertira les élèves? Par sa posture profession­nelle, un enseignant d’Éthique et culture religieuse ne fait pas plus la promotion des religions et des croyances qu’un professeur d’histoire ayant une conscience profession­nelle ne fait la promotion du libéralism­e ou de la souveraine­té.

Le programme d’Éthique et culture religieuse est un outil unique dont s’est doté le Québec pour éduquer les jeunes à l’analyse, à l’ouverture d’esprit, au jugement critique, à l’apprentiss­age à la vie en société et au vivre-ensemble. Faisons confiance aux jeunes et soutenons les artisans de notre système scolaire.

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