Sécurité et civisme
Il meurt de moins en moins de gens sur les routes du Québec depuis trente ans, et c’est tant mieux. Pourtant, nous sommes encore loin de figurer au palmarès des meilleurs, des plus prudents ou des plus civilisés.
La tournée de consultation de la Société d’assurance automobile au sujet de la sécurité routière se termine cette semaine à Montréal et à Québec. Une synthèse des commentaires sera publiée ce printemps et des changements au Code de la route seront proposés par la suite. En matière de transport, la fluidité et l’efficacité constituent des objectifs importants pour chaque individu autant que pour la société, mais ils doivent être soumis à la contrainte quasi absolue de la sécurité.
Cette semaine, les maires des villes défusionnées de l’île de Montréal sont revenus à la charge pour tenter de convaincre le gouvernement d’imiter le reste du Québec en autorisant le virage à droite au feu rouge. Une question de fluidité, justement, disent-ils.
Nous pourrions soutenir leur requête si les automobilistes québécois avaient la réputation de respecter les règles élémentaires d’une conduite prudente et civilisée. Ce qui n’est pas le cas. Et l’exemple de Laval souvent cité par les maires de l’île est particulièrement mauvais puisqu’on marche très peu à Laval. Heureusement d’ailleurs, parce que les automobilistes de Laval, comme ceux de la plupart des villes où le virage à droite au feu rouge est autorisé, ne respectent que marginalement les droits des piétons.
En fait, partout au Québec, l’interprétation que l’on a de la règle qui autorise le virage à droite au feu rouge se ramène à répondre à la question: ai-je le temps de passer sans risque d’accident ? Si oui, go !
La même mentalité prévaut à la vue de ce piéton qui se présente à l’intersection, ou devant un feu qui passe au jaune: pourquoi rater mon feu si j’ai le temps de passer ?
Et l’on voudrait étendre cette mauvaise habitude à Montréal, une ville dense où les automobilistes n’accordent encore aucune importance aux passages protégés malgré la menace d’une amende de 100 $ écrite noir sur blanc ?
Faut-il plus de radars photo que la centaine qu’il y a déjà sur les dizaines de milliers de kilomètres de routes? Bien sûr. Et même plusieurs centaines de plus. En ville comme en banlieue, sur les autoroutes et dans toutes les zones de chantier puisque, là aussi, c’est le seul moyen de « sensibiliser » les conducteurs sur qui le doublement des pénalités n’a encore eu aucun effet.
En entrevue à la radio, il y a quelques semaines, un ardent défenseur des pauvres victimes du radar photo s’est exclamé: «Si ça continue, on n’aura plus de plaisir à conduire au Québec!» Chacun ses plaisirs, en effet.
Et que dire des dépassements par la droite? Un autre trait distinctif du Québec. Il n’y a pas que la neige qui surprenne les visiteurs au pays de Gilles et Jacques Villeneuve. Notre conduite automobile aussi.
Cette culture du chacun pour soi que certains osent qualifier de rebelle n’est pas seulement propre aux automobilistes. Elle est aussi celle qui anime les motocyclistes et les cyclistes du centre-ville de Montréal, là où la cohabitation des différents modes de transport est la plus dangereuse.
Oui, il faut faciliter la vie des cyclistes en leur accordant une priorité proche de celle des piétons aux intersections, et en améliorant les pistes et la signalisation. Mais dans leur cas aussi il faut accentuer la répression pour les «sensibiliser» aux risques de la vitesse à l’approche des intersections, de l’absence de signes visibles la nuit, de leur présence sur les trottoirs ou en sens inverse dans les rues étroites des quartiers résidentiels et de leur fréquent manque de civisme.
Combien de cyclistes roulent à Montréal avec des oreillettes ? Combien ne font même pas semblant de respecter les feux à moins d’y être forcés par la densité de la circulation ?
Il y a beaucoup moins de morts sur les routes du Québec depuis trente ans, et c’est tant mieux. Mais encore plus qu’ailleurs au Canada. Les campagnes en faveur du port de la ceinture de sécurité et contre l’alcool au volant y sont pour quelque chose, de même que l’amélioration de la sécurité passive des véhicules.
Si on veut faire plus, il faut poursuivre les efforts pour réaménager l’espace urbain, mais aussi intensifier la répression contre la vitesse, les dépassements par la droite, l’obsession du texto, et pour le respect des piétons partout et toujours. Il n’y aura jamais trop de radars photo pour financer les coûts de ces campagnes de « sensibilisation ».