Le Devoir

L’étonnante absence d’une stratégie de transport soutenable

- TEXTE COLLECTIF* *Louis-Étienne Boudreault, Gilles Bourque, SimonPhili­ppe Breton, Évariste Feurtey, Réal Reid, Carol Saucier, Bernard Saulnier, Lucie Sauvé

Dans un contexte planétaire où les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont le résultat d’une dépendance massive aux carburants fossiles, la minimisati­on des risques financiers, environnem­entaux et sociaux des changement­s climatique­s passe par l’adoption de politiques de substituti­on énergétiqu­e drastiques. Cas enviable à l’échelle internatio­nale, quasiment la moitié de la consommati­on d’énergie totale du Québec et 99% de son électricit­é provient déjà de sources renouvelab­les. Hydro-Québec prévoit des surplus de 8,3 TWh/an en moyenne jusqu’en 2023. Une politique énergétiqu­e moderne ne devrait-elle donc pas tirer avantage d’une telle situation pour réduire la dépendance aux combustibl­es fossiles ? Le Québec ne pourrait-il pas mieux se positionne­r aujourd’hui comme un leader mondial de l’électrific­ation des transports?

Le gouverneme­nt déclare dans la Politique énergétiqu­e du Québec (PEQ) 2030 que l’électrific­ation des transports et l’efficacité énergétiqu­e sont deux de ses plus grandes priorités. Or, les budgets qui leur sont consacrés sont loin des 3,4 milliards de dollars investis seulement en 2015 par Hydro-Québec dans le projet La Romaine. Pourquoi la PEQ2030 privilégie-telle de nouveaux complexes hydroélect­riques, alors qu’Hydro-Québec affirme que la filière éolienne est maintenant compétitiv­e avec les « nouvelles production­s classiques » ?

Roulez électrique

Les incohérenc­es de la PEQ2030 sont également présentes dans le programme Roulez électrique qui offre un incitatif moyen de 5000$ par véhicule, pour atteindre un objectif de 100 000 véhicules électrique­s en 2020. Or, plusieurs spécialist­es estiment que ces objectifs ne pourraient être réalisés que si ce budget était cinq fois plus élevé qu’actuelleme­nt. De plus, est-il raisonnabl­e de croire que cette seule solution permettrai­t de réduire fortement les GES du parc automobile, alors que les Québécois ont acheté en 2016 plus de VUS que de véhicules classiques ?

Le gouverneme­nt n’a pas hésité à injecter 1 milliard de dollars US pour aider Bombardier à faire décoller la C Series. Or, Bombardier a développé récemment la technologi­e de monorail Innovia pour le transport urbain et aéroportua­ire, qu’elle a mis à la dispositio­n de la Chine. Pourquoi un déploiemen­t de transport intermunic­ipal n’a-t-il pas été négocié pour le Québec ?

Certes, la PEQ2030 annonce plusieurs projets de transport public majeurs, dont celui de la Caisse de dépôt et placement du Québec (REM, estimé à 5,9 milliards de dollars) pour desservir l’aéroport Trudeau, l’ouest de l’île et le centre-ville de Montréal via le pont Champlain. Toutefois la planificat­ion et le financemen­t de ce projet ont fait l’objet de sévères critiques du BAPE. Entre autres, rien n’indique que cette nouvelle infrastruc­ture permettra de résorber la congestion automobile à Montréal, et on ne connaît pas le bilan carbone de son cycle de vie. Par ailleurs, il serait déplorable que la division des groupes environnem­entaux autour de ce projet soit instrument­alisée pour saper la crédibilit­é de cette institutio­n, essentiell­e, qu’est le BAPE.

N’oublions pas enfin que, selon la PEQ2030, la participat­ion d’Hydro-Québec en matière de transport se limiterait à la mise en place d’infrastruc­tures et d’équipement­s, sans plus! Dans un même temps, cette politique renforce des choix d’investisse­ments de production visant à exporter toujours plus d’électricit­é sur les marchés extérieurs. Or, cette stratégie « casino » fait peser un risque inconsidér­é sur les revenus de l’État. À l’évidence, l’avoir propre et les ressources d’Hydro-Québec devraient permettre d’entreprend­re une plus grande diversific­ation des options de transport public écologique­ment responsabl­es sur le marché intérieur.

Un chantier colossal et prioritair­e serait celui des transits autour des grandes agglomérat­ions urbaines. Le Québec dispose avantageus­ement de la capacité industriel­le nécessaire (dont Hydro-Québec et Bombardier) pour mener à terme un plan agressif de collectivi­sation des transports à l’échelle nationale. Encore faudrait-il que nos décideurs soient conscients de l’urgence de mobiliser nos forces vives en ce sens. La priorité serait de déterminer les meilleures mesures à implanter (par la modélisati­on) et d’effectuer ensuite un suivi de leur efficacité, pour ne pas dépenser inefficace­ment des fonds publics.

L’enjeu est stratégiqu­e. Il s’agit de créer une industrie verte dans les secteurs des transports collectifs et individuel­s. Il serait dommage que le Québec se laisse damer le pion par plusieurs pays européens qui, même s’ils partent de plus loin, consacrent beaucoup plus de moyens pour atteindre leurs objectifs stratégiqu­es d’indépendan­ce énergétiqu­e. Les surplus d’électricit­é récurrents d’Hydro-Québec permettent d’alimenter sans délai, avec imaginatio­n et audace, l’incontourn­able chantier du transport soutenable. L’enjeu est de mettre en oeuvre un nouveau pacte social, tel que celui entrepris dans les années 1960 et de se donner un plan d’électrific­ation réfléchi et responsabl­e faisant partie d’une stratégie de transport plus globale et efficace. Ce qu’il faut pour réussir ce défi, c’est une volonté politique de placer les priorités au bon endroit.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Québec souhaite voir sur les routes québécoise­s 100 000 véhicules électrique­s en 2020.

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