Le Devoir

Sous les sept mers avec Cousteau

Jérôme Salle dit avoir voulu sortir le commandant de son mythe avec L’odyssée

- ODILE TREMBLAY Ces entretiens ont été réalisés à Paris dans le cadre des Rendezvous d’Unifrance.

Tout a commencé par un aveu d’ignorance. Jérôme Salle, qui, au cours de son enfance en Provence, voguait sur le voilier familial, était un grand admirateur du commandant Jacques-Yves Cousteau. Or, il découvrit que son fils n’avait jamais entendu parler de son héros des sept mers, lequel s’effaçait tranquille­ment de la mémoire des moins de 30 ans. Que faire ?

«Son héritage n’a pas été entretenu, soupirait le cinéaste en entrevue à Paris, à cause de nombreux conflits familiaux. Quatre enfants, dont deux avec sa première femme… » L’idée de consacrer un film au commandant de la Calypso a fait son chemin dans son esprit, mais il y a loin de la coupe aux lèvres.

Jérôme Salle s’est mis à compulser livres, articles. Un seul documentai­re, La vie aquatique de Wes Anderson, parlait du célèbre homme au bonnet rouge. Restaient évidemment les films de Cousteau, dont Le monde du silence, coréalisé avec Louis Malle, palmé d’or à Cannes en 1956, puis couronné aux Oscar.

Scénariste et cinéaste français (Anthony Zimmer, Largo Winch, Zulu), Jérôme Salle ne craint pas les projets ambitieux, mais il parle de L’odyssée comme d’une bataille remportée de haute lutte: « Quand vous faites un film d’époque sur l’eau, avec des enfants, les risques d’avoir des problèmes sont grands. J’ai mis du temps à le monter. Sept ou huit ans à l’écriture du scénario, deux pour le faire financer, avec 20 millions d’euros [un budget important pour la France], et un peu d’argent belge. »

Il avait pensé confier le rôle à Adrien Brody (Le pianiste), au physique de l’emploi. «Mais il est Américain. Ça n’avait pas de sens. Dans mon scénario de départ, Cousteau avait 25 ans, mais je l’ai réécrit à une époque ultérieure de sa vie, en me basant sur ses liens avec son fils Philippe. » Lambert Wilson s’est imposé en fin de compte. Pierre Niney (Yves Saint-Laurent) était pressenti dès le départ pour jouer son fils Philippe. «Je les ai envoyés faire un stage de plongée sous-marine à Marseille et ils ont obtenu un diplôme profession­nel.»

Les ambiguïtés du héros

Lambert Wilson faisait partie aussi des fans de Cousteau: «Il était si présent dans ma famille, explique l’interprète de Molière à bicyclette, de Des hommes et des dieux et de… Matrix Reloaded. On suivait ses expédition­s religieuse­ment ; un vrai personnage dont je devais soudain rendre les ambiguïtés. En France, on a l’habitude de brûler nos héros. Le succès y semble vulgaire. Or, JacquesYve­s Cousteau eut un rapport en deux temps avec l’écologie. Au début, il pouvait détruire l’environnem­ent, mais changea de position et fit son mea culpa au cours des années 1960. Ça fit causer. »

L’acteur dut suivre un régime très strict pour épouser la maigreur de son modèle: «J’ai perdu 10kg, et c’était dur de s’affaiblir physiqueme­nt tout en faisant des exercices très exigeants: plonger avec de lourdes bouteilles d’oxygène, par exemple. »

Jacques-Yves Cousteau, qui avait entretenu son mythe sa vie durant, fuyait entre les mains du cinéaste. Ce dernier a rencontré ses descendant­s, la veuve de Philippe, les membres d’équipage en plus d’effectuer une longue recherche en archives, donc découvrant des aspects de sa personnali­té peu connus, son don juanisme entre autres, en plus de ses éternels problèmes d’argent. «Son épouse Simone [Audrey Tautou] était un personnage dans l’ombre, mais capital. Le vrai capitaine de la Calypso, l’âme du bateau, c’était cette femme délaissée, adorée par l’équipage», précise Jérôme Salle.

Trouver les poissons

Le cinéaste voulait filmer la nature à travers les continents et entraîna son équipe de l’Antarctiqu­e aux Bahamas, de la Croatie (pour les besoins de la production, transformé­e en Côte d’Azur), à l’Afrique du Sud.

«Le plus difficile, dit-il, fut de recréer la Méditerran­ée des années 1940 et 1950 à la faune marine qui n’existe plus. On a dû avoir recours aux effets spéciaux pour figurer les bancs de poissons. C’est en revenant dans les lieux de tournage de Cousteau que j’ai compris à quel point tout s’était détérioré. En mer Rouge, les requins sont petits. Les gros ont été tués. J’ai voulu montrer l’évolution de Cousteau par rapport à l’environnem­ent. C’est son fils Philippe qui l’a entraîné vers le combat écologique. »

Jérôme Salle parle d’un tournage exaltant, magique et difficile. Ils ont affronté la tempête en Antarctiqu­e, tourné avec les baleines et les dauphins au large de Cape Town. «On a nagé avec les requins. Ce fut pour moi une libération, renchérit Lambert Wilson. Les plongeurs, comme les alpinistes, sont forcés d’observer la nature. Ils prennent des risques et quelque chose arrive… »

L’acteur a interprété d’autres icônes françaises, dont l’abbé Pierre dans Hiver 54. « Tous deux s’étaient créé des silhouette­s, l’abbé Pierre avec sa cape et son béret noir, Cousteau sous son bonnet rouge était un homme d’images et l’image l’aimait. Il savait son personnage nécessaire, même sous ses aspects ridicules, et portait un masque. Il était un homme de communicat­ions et s’était fait des ennemis dans la communauté scientifiq­ue, posant comme l’unique découvreur. Sa vision du monde était sombre. Il ne croyait pas en la capacité de l’être humain de sauver la planète. Moi-même, je suis un activiste environnem­entaliste pessimiste. Nous sommes destructeu­rs par essence. »

«Ces films-là ne sont jamais faits pour les familles, qui préfèrent les portraits plus flatteurs, conclut Jérôme Salle. L’odyssée n’est pas une hagiograph­ie. Le commandant s’est construit avec ses qualités de meneur, d’explorateu­r, de conférenci­er. Il était un homme blanc, occidental du XXe siècle, avec des absences répétées, un côté tyrannique. Cousteau constitue le reflet de son époque, mais il a fait de sa vie une aventure. À travers son parcours, j’ai essayé d’offrir un film que je pourrais montrer à mes enfants. »

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REMSTAR L’acteur Lambert Wilson dut suivre un régime très strict pour épouser la maigreur de son modèle.

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