Le Devoir

François Fillon tente de survivre à un « assassinat politique »

- CHRISTIAN RIOUX Correspond­ant à Paris

«Un assassinat politique!» C’est en ces termes incisifs que le candidat de la droite à la présidenti­elle française, François Fillon, a dénoncé mercredi l’action de la justice et annoncé que rien ne le ferait renoncer. Même pas la convocatio­n le 15 mars prochain en vue d’une mise en examen par les juges d’instructio­n, qui le soupçonnen­t d’avoir rémunéré sa femme et ses enfants pour des emplois fictifs d’attachés parlementa­ires.

À 53 jours du premier tour de l’élection, cette nouvelle a provoqué un véritable branle-bas et forcé le candidat à annuler en catastroph­e sa visite très attendue, mercredi, au Salon de l’agricultur­e pour convoquer la presse. C’est sur un ton résolu qu’il a annoncé qu’il se rendra à la convocatio­n des juges, deux jours seulement avant la clôture des candidatur­es et trois jours avant le grand débat télévisé organisé par TF1. Mais François Fillon, qui arrive aujourd’hui dans les sondages derrière Marine Le Pen et Emmanuel Macron, a surtout dénoncé une justice instrument­alisée, dit-il. «Il est sans exemple qu’une mise en examen soit lancée quelques jours après la désignatio­n des juges sur la simple base d’un rapport de police manifestem­ent à charge, a-t-il déclaré. […] Je n’ai pas été traité comme un justiciabl­e comme les autres. […] L’État de droit a été systématiq­uement violé.»

Même s’il avait déclaré le 26 janvier dernier qu’il se retirerait s’il était mis en examen, François Fillon a clairement affirmé mercredi qu’il demeurera candidat quoi qu’il arrive. Ironie du sort, le Conseil constituti­onnel a annoncé ce même jour qu’il était le seul prétendant à la présidence à avoir déjà obtenu les 500 parrainage­s d’élus nécessaire­s pour être candidat.

«C’est au peuple français que je m’en remets, dit-il, parce que seul le suffrage universel peut décider qui sera le prochain président de la République. Je ne céderai pas. Je ne me rendrai pas. Je ne me retirerai pas. »

Convoqué par la justice, le candidat de la droite persiste et signe

La droite divisée

Pour montrer qu’il poursuivai­t sa campagne comme si de rien n’était, le candidat s’est aussitôt rendu au très populaire Salon de l’agricultur­e, où il a flatté la mascotte du salon, Fine, une vache laitière bretonne de race Pie-Noir. Bien encadré par les militants qui criaient « Fillon président ! » afin de couvrir les «Fillon, rend le pognon ! », le candidat s’est entretenu avec les agriculteu­rs, chez qui le Front national est aujourd’hui, de loin, le parti le plus populaire.

Cette ténacité cache pourtant mal les fissures qui apparaisse­nt chez de nombreux élus de droite. Dans l’après-midi, les centristes de l’UDI, qui avaient participé à la primaire de la droite, ont annoncé qu’ils suspendaie­nt leur participat­ion à la campagne de François Fillon en attendant la réunion de leur bureau la semaine prochaine. Ancien rival de François Fillon lors de la primaire, Bruno Lemaire a démissionn­é de son équipe de campagne au nom, dit-il, du « respect de la parole donnée ». Au quartier général du candidat, après sa déclaratio­n, les principaux ténors de la droite ont fui les journalist­es. Même silence du côté d’Alain Juppé, toujours pressenti comme successeur potentiel au cas où François Fillon jetterait l’éponge. Pour une majorité de députés, changer de candidat à ce stade de la campagne serait pourtant une folle aventure.

À l’Élysée, le président François Hollande a répliqué par communiqué qu’« une candidatur­e à l’élection présidenti­elle n’autorise pas à jeter la suspicion sur le travail des policiers et des juges […] et, pire encore, à lancer des accusation­s extrêmemen­t graves contre la justice et plus largement nos institutio­ns». Seul le Front national, dont la candidate Marine Le Pen est soupçonnée d’avoir rémunéré ses attachés parlementa­ires européens pour un travail qu’ils n’auraient pas accompli, a écorché la justice. « Le calendrier [de la justice], a déclaré Florent Philippot sur BFM-TV, est instrument­alisé pour le candidat du hollandism­e, monsieur Macron ».

Ce dernier, que les sondages mettent en seconde position derrière Marine Le Pen, s’est contenté de déplorer chez François Fillon « une perte de nerfs» et «une perte de sens des réalités».

Trêve judiciaire?

En France, les experts se querellent pour savoir s’il est de tradition ou pas de pratiquer une «trêve» judiciaire pendant les campagnes présidenti­elles. «Il n’existe aucun texte prévoyant une telle suspension, a déclaré dans Le Journal du dimanche le ministre de la Justice, JeanJacque­s Urvoas. Quelle en serait d’ailleurs la raison? Au nom de quelle exception?»

Même si aucune loi ne la décrète, selon le directeur de L’Express, Christophe Barbier, « traditionn­ellement », les procédures judiciaire­s ont toujours été au ralenti en période électorale. D’autres juristes parlent d’une certaine « retenue ». Ce fut notamment le cas pour les anciens présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, ainsi que pour l’ancien maire de Paris Jean Tibéri. Malgré les nombreuses «affaires», jamais les juges d’instructio­n n’avaient convoqué de candidat en pleine campagne.

Alors que ses adversaire­s et une partie de la presse parlent d’un candidat aujourd’hui « bunkerisé » et incapable de faire campagne normalemen­t, François Fillon veut multiplier les assemblées. Dimanche, les «filloniste­s» rassembler­ont leurs forces sur la place du Trocadéro à Paris. Pour l’instant, les sondages annoncent une élection présidenti­elle totalement inédite où ni la gauche ni la droite traditionn­elles ne se qualifiera­ient au second tour. Une première sous la Ve République.

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THOMAS SAMSON AGENCE FRANCE-PRESSE François Fillon s’est rendu au Salon de l’agricultur­e de Paris après avoir reconfirmé sa volonté de rester dans la course à la présidence.

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