Le Devoir

Économie › Méfait islamophob­e?

Trois pavillons de l’Université Concordia ont été évacués à la suite d’une alerte à la bombe.

- JESSICA NADEAU PHILIPPE ORFALI

«Cela fait trois ans que j’étudie à Concordia, je m’y suis toujours sentie en sécurité. Mais avec cette alerte à la bombe, je n’ai même plus envie de venir à l’école. J’ai peur.» Gul, une étudiante musulmane, demeurait sous le choc, mercredi, quelques heures après que l’université anglophone a été évacuée, un présumé groupe islamophob­e ayant menacé d’y faire détonner des explosifs.

L’université a été avisée vers 9 h d’une menace «sérieuse». Un courriel supposémen­t envoyé par un groupe d’extrême droite, acheminé à la direction et à plusieurs médias, dont Le Devoir, prévenait que des bombes artisanale­s exploserai­ent à des endroits précis dans deux pavillons, à intervalle­s réguliers, jusqu’à vendredi. Leur cible : les étudiants musulmans. Les menaces se sont révélées infondées, et la police poursuit son enquête. « Tous les endroits ciblés dans le courriel ont été fouillés par les policiers et ça s’avère négatif», a confirmé un porteparol­e du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Benoit Boisselle. Aucun suspect n’avait encore été identifié au moment d’écrire ces lignes. «Il est trop tôt pour parler d’accusation­s. Il va certaineme­nt y en avoir, mais je vais laisser les démarches d’enquête [se poursuivre]. » De même, il n’a pas été possible de confirmer si le crime était l’oeuvre d’un ou de plusieurs individus et si le groupe ayant signé la lettre de menace existe bel et bien.

Sur le qui-vive

Ils étaient des centaines comme Gul, plantés devant le pavillon H, coin Sainte-Catherine et Guy, au centre-ville de Montréal. Certains ont d’abord cru à une fuite de gaz. Mais rapidement, la nouvelle d’une alerte à la bombe a gagné la foule alors que les services de sécurité tentaient de disperser celle-ci. L’évacuation, qui aurait touché «quelques milliers de personnes», s’est faite dans l’ordre et le calme.

«J’étais en train d’étudier quand une alerte s’est affichée sur mon ordinateur, raconte Esham Ghalamzam. Ça disait “Évacuation d’urgence des pavillons EV et H immédiatem­ent”. Je suis sorti en laissant toutes mes choses.»

Il y avait une très forte présence policière dans tous les pavillons et aux abords des édifices. Un troisième bâtiment, adjacent à l’un des pavillons visés, a également été évacué dans l’après-midi.

Un crime haineux?

Cet effroi survient alors que l’associatio­n des étudiants musulmans de l’Université Concordia tenait justement une semaine de sensibilis­ation pour lutter contre l’islamophob­ie. Celle-ci a enjoint au SPVM de traiter l’incident «dans le cadre d’une enquête pour crime haineux». « Nous sommes profondéme­nt troublés par ces menaces de bombes, en pleine semaine de sensibilis­ation », a déclaré le groupe.

En point de presse, mercredi après-midi, le recteur Alan Shepard s’est dit « choqué et surpris » et a dénoncé cette attaque, soutenant que Concordia est «très inclusive, très accueillan­te». Il affirme que c’est la première fois qu’il est mis au fait de telles menaces. L’établissem­ent a d’ailleurs rouvert ses portes en fin de journée mercredi, mais promis une «sécurité accrue» sur les lieux au cours des prochains jours. Les cours ont repris à 18 h, malgré l’opposition de l’associatio­n étudiante, qui demandait que les étudiants soient autorisés à ne pas se présenter en classe.

«Le climat médiatique et politique actuel alimente la peur et la haine envers les membres des communauté­s marginalis­ées. Trop souvent, ces réalités sont balayées du revers de la main ici au Canada, et présentées comme des problèmes qui ne surviennen­t qu’au sud de la frontière. Les événements tristes et choquants d’aujourd’hui et de ces derniers mois au Québec et au Canada sont un réveil brutal pour ceux qui doutent que le courant suprémacis­te blanc est répandu dans notre société », a déclaré la direction de l’associatio­n étudiante de Concordia, dans un communiqué.

En point de presse, le premier ministre Philippe Couillard a «condamné très fermement» cet acte «répréhensi­ble». Sa ministre de l’Enseigneme­nt supérieur, Hélène David, a aussi visité la cellule de crise mise sur pied à Concordia. « Nous pensons aux étudiants, à leurs parents, et nous voulons assurer à toute la population que toutes les mesures sont prises [et] que nous travaillon­s pour faire en sorte que la sécurité ne soit pas compromise, ni à Concordia ni dans d’autres université­s. »

Inquiétude dans les autres université­s

Les autres maisons d’enseigneme­nt de la métropole étaient également sur le qui-vive. À l’Université McGill, la direction a pris la décision de ne pas évacuer le campus, même si la radio étudiante a reçu un message semblable à celui envoyé à l’Université Concordia. « Aucune menace spécifique » n’a été émise contre l’université, s’est défendu un porte-parole, soutenant que certains édifices avaient fait l’objet d’une «inspection extérieure» de la part du SPVM. « Une fois que la police a regardé les quelques bâtiments de l’extérieur, on a conjointem­ent décidé que McGill allait continuer la surveillan­ce seule », a indiqué Vincent Allaire.

Le collège Dawson, théâtre d’une tuerie il y a près de onze ans, et l’Université du Québec à Montréal ont également pris des mesures spéciales. « On est toujours vigilants en raison de notre histoire. Notre service de sécurité est plus vigilant lors de ce genre de situation. On a également communiqué avec l’associatio­n musulmane », a indiqué une porte-parole de Dawson, Donna Varrica.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les policiers ont fouillé les pavillons avant de décréter qu’il n’y avait pas de danger.

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