Le Devoir

Les États-Unis n’ont rien à envier au Canada en matière d’immigratio­n économique

- LISA-MARIE GERVAIS

Donald Trump rêve d’une immigratio­n à la canadienne, qui sélectionn­e des travailleu­rs qualifiés, a-t-il dit mardi devant le Congrès américain. Vraiment? C’est bien mal connaître son propre système.

Car non seulement les États-Unis possèdent-ils déjà un système très performant qui intègre bien les immigrants dits économique­s, mais il serait l’un des meilleurs. «Dans la catégorie de l’immigratio­n économique, les programmes américains connaissen­t un plus grand succès comparativ­ement à ceux au Canada », affirme Mikal Skuterud, professeur associé au Départemen­t d’économie de l’Université de Waterloo, dont les recherches ont porté précisémen­t sur ce sujet.

Alors pourquoi tant convoiter ce qui se fait chez nous? Selon lui, Trump a probableme­nt voulu annoncer son intention d’opérer une transition pour accueillir une majorité d’immigrants économique­s comme c’est le cas au Canada. « Aux États-Unis, une plus grande proportion d’immigrants arrive grâce à la réunificat­ion familiale. Ce sont des gens qui viennent en grande partie d’Amérique latine, surtout du Mexique, et qui ne sont pas nécessaire­ment des travailleu­rs qualifiés», explique M. Skuterud.

«L’argument de Trump, et de beaucoup d’autres présidents avant lui, c’est de dire qu’il faut faire venir plus d’immigrants économique­s, à travers le système de points comme au Canada, ce qui diminuera nécessaire­ment le nombre de personnes qui immigrent dans la catégorie famille. Il se dit que c’est de cette façon qu’il augmentera le nombre d’immigrants éduqués ou avec qualificat­ion. En ce sens, il n’a pas tort.»

Là où Donald Trump a tort, croit le professeur d’économie, c’est en privilégia­nt le système de points du Canada et de l’Australie. Car, à l’instar de ces deux pays, les États-Unis possèdent de très bons programmes — et même meilleurs — d’immigratio­n économique.

Le succès du H-1B

Parmi eux, le visa H-1B connaît un vif succès. Ce sont des permis de séjour temporaire­s offerts à des profession­nels étrangers selon certains critères de base, par exemple être détenteur d’un diplôme universita­ire de quatre ans ou avoir une expérience profession­nelle équivalent­e. Si tout se passe bien et qu’ils ont réussi à se trouver un emploi satisfaisa­nt dans leur domaine, les États-Unis leur offrent alors la possibilit­é de transforme­r ce permis temporaire en résidence permanente (green card).

En quoi ce visa H-1B est-il un si bon programme ? C’est que, contrairem­ent à ce qui se fait au Canada et en Australie, il n’octroie pas la résidence permanente à quiconque a été sélectionn­é d’avance, sur la base de points accumulés en fonction de certains critères (langues, niveau d’études, etc.) « Tu n’as ta green card que si tu as un job et que ça se passe bien pour toi sur le marché du travail », soutient Mikal Skuterud. Cela lui paraît plus garant d’une intégratio­n réussie.

Selon le chercheur, le président américain ne devrait pas jurer que par ce système de sélection par points. D’ailleurs, l’Australie imite de plus en plus les États-Unis et privilégie l’immigratio­n «en deux étapes». Le Canada aussi, en acceptant de plus en plus d’immigrants dans le programme Catégorie expérience canadienne.

« En réalité, le Canada est en train de s’approcher du système américain et les Américains disent qu’ils veulent s’approcher de notre système. C’est un peu ridicule. Car au final, ils convergent tous vers la même chose.»

Les États-Unis déjà champions

Dans une récente étude datant du mois dernier et qui compare la réussite de l’intégratio­n des immigrants économique­s au Canada, aux États-Unis et en Australie, Mikal Skuterud et ses collègues ont démontré que les immigrants, surtout ceux qui passent par les université­s américaine­s, ont beaucoup de succès sur le marché du travail. «Et dans certains cas, ces immigrants ont même des revenus supérieurs à ceux des Américains éduqués dans les mêmes université­s», souligne M. Skuterud.

Ainsi, les États-Unis, même s’ils accueillen­t beaucoup de travailleu­rs non qualifiés et de sans-papiers, ne sont pas à plaindre. Car ils réussiront toujours à attirer «la crème de la crème » dans le lot de travailleu­rs étrangers qualifiés. Le Canada ne fait effectivem­ent pas le poids à côté des États-Unis, qui possèdent les Microsoft, Google et autres grandes entreprise­s dans ce domaine de pointe. «Les ÉtatsUnis réussissen­t mieux à accueillir des immigrants qui s’intègrent bien économique­ment. Un Indien ou un Chinois qui veut immigrer, s’il est très brillant, va choisir le pays où les bénéfices potentiels sont les plus grands. Et c’est aux États-Unis que tu as le plus grand retour sur tes compétence­s. »

Oui, vraiment, Donald Trump devrait y penser à deux fois avant de fermer son programme de visa temporaire H-1B et se diriger vers un système de points comme il l’a laissé entendre mardi, dit M. Skuterud. «En fait, même s’il s’est adouci dans son discours, le fait est que Trump n’aime pas les immigrants, point. Il croit que les immigrants volent les jobs des Américains. Et c’est pour ça qu’il veut fermer le programme de visa H-1B. Mais ce serait un désastre total.»

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR «Les États-Unis réussissen­t mieux [que le Canada] à accueillir des immigrants qui s’intègrent bien économique­ment», affirme le professeur Mikal Skuterud.

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