Le Devoir

L’engagement des université­s

Comme bien d’autres organisati­ons, les université­s sont en reposition­nement quant à leur mission classique si essentiell­e

- MARC-URBAIN PROULX Professeur en économie régionale, UQAC

La gouvernanc­e des université­s québécoise­s alimente actuelleme­nt les manchettes. À Sherbrooke, la grève des professeur­s heurte de front la haute administra­tion universita­ire. Le renouvelle­ment de la charte de l’Université de Montréal occasionne une levée de boucliers. L’automne dernier, le recteur sortant de l’Université Laval s’est fait sermonner. À l’UQAC et à l’UQAM, les recteurs actuels ne renouvelle­nt pas leur mandat, ce à quoi ils ont droit. Les postes de directeur général à pourvoir à l’ENAP et à l’INRS illustrent des difficulté­s de recrutemen­t. En 2015, à Trois-Rivières, la rectrice a démissionn­é en cours de mandat. Pour tout le Canada, en réalité, l’expression «épidémie de recteurs en difficulté» est utilisée dans le bulletin Af faires universita­ires.

Largement causé par les contrainte­s financière­s, ce gros malaise dans les université­s s’impose dans des agendas déjà chargés au sein des rectorats. Sous leurs yeux, un nouveau monde émerge en accélérant les changement­s dans un contexte de concurrenc­e universita­ire mondiale stimulée par l’impulsion numérique. Comme bien d’autres organisati­ons, les université­s sont en reposition­nement quant à leur mission classique si essentiell­e. Face aux nombreux défis, les gouverneur­s universita­ires cherchent à maximiser leur attention sur le visionneme­nt des voies d’avenir, l’examen des options et l’orientatio­n de leur établissem­ent. Dispensatr­ices de savoir cumulatif, les université­s sont inévitable­ment des acteurs névralgiqu­es du Québec en réinventio­n. Avec les grandes forces en présence, un dialogue renouvelé pourrait conduire à de nouvelles convergenc­es d’intérêts en offrant aux université­s les moyens de leurs ambitions en regard de l’excellence en enseigneme­nt, en recherche et en services à la collectivi­té.

Engagement initial

Au cours des années 1960 au Québec, l’éducation supérieure devint un droit défendu et aussi un devoir bien affiché par l’État en matière de développem­ent culturel, social et économique. À l’époque, seulement 3% de la population possédait un grade universita­ire. Selon l’ISQ, en 2014, ce ratio atteignait 29,4%, tiré par les taux élevés de Montréal (46,5%) et de Québec (33,5 %). Puisque ce niveau d’éducation universita­ire est inférieur à la moyenne canadienne, les efforts accrus doivent se poursuivre. D’autant plus que les régions périphériq­ues québécoise­s, jadis bien dotées par la grande industrie d’attrayants emplois bien rémunérés, n’ont en conséquenc­e que 17,1% de leur population disposant d’un diplôme universita­ire.

Signalons qu’avec l’enseigneme­nt de qualité et la recherche qui l’enrichit, d’autres modalités permettent l’engagement des université­s québécoise­s. Nous pensons tout de suite à la recherche et développem­ent, mais aussi aux transferts technologi­ques, à la délocalisa­tion de programmes hors campus ainsi qu’aux interventi­ons directes au sein des organisati­ons publiques, privées et collective­s. En outre, de nombreux universita­ires s’impliquent dans des maillages articulés au sein de grappes de PME. D’autres pilotent des réflexions collective­s autour de dossiers spécifique­s en mobilisant des experts. Certains affirment leur rôle intellectu­el par divers moyens, y compris l’organisati­on d’événements, la vulgarisat­ion scientifiq­ue, les chroniques dans les médias, l’animation communauta­ire, le militantis­me. Plusieurs universita­ires encore jouent un rôle entreprene­urial actif par des commandite­s de recherche, la valorisati­on mercantile de brevets, l’incubation d’initiative­s.

Bref, l’université contempora­ine représente au Québec un véritable moteur d’innovation­s sociales, culturelle­s, politiques et économique­s. Il s’avère impératif de préserver sa mission traditionn­elle. Sont ainsi déplorées les centaines de postes de professeur non pourvus actuelleme­nt dans les université­s québécoise­s. En souffrent beaucoup les programmes de 1er cycle, qui représente­nt le socle de l’université. Se révèle tout aussi déplorable le recul actuel du financemen­t de la recherche universita­ire après la forte poussée des années 2000 qui a pertinemme­nt alimenté les programmes et les étudiants de cycles supérieurs. […]

Partenaria­ts

Mis à part les grandes infrastruc­tures de transport, les université­s situées en région représente­nt le meilleur outil de développem­ent régional jamais conçu. D’une manière générale, elles facilitent l’accessibil­ité aux étudiants, en particulie­r les moins mobiles, les adultes, les travailleu­rs, les moins fortunés ou tout simplement les personnes qui désirent étudier en région. Les effets de rétention de l’expertise sont évidents. Aussi, les université­s sises en ces lieux modulent généraleme­nt des recherches, des enseigneme­nts, des formations en fonction de spécificit­és territoria­les. Elles possèdent ainsi leurs spécialité­s. Il faut savoir que les université­s en région québécoise sont très engagées dans leur milieu qui, en retour, le leur rend bien.

Dans l’immensité du territoire québécois, les université­s font face à des enjeux régionaux bien particulie­rs reliés aux problémati­ques de l’eau, des mines, des forêts de feuillus et de résineux, de l’aluminium, des ressources maritimes, du givre, de l’agricultur­e, de l’énergie renouvelab­le, des collectivi­tés autochtone­s, des changement­s climatique­s, de la nordicité, du transport. Ces enjeux sont ciblés par la recherche spécialisé­e autant dans les grandes université­s de Montréal et de Québec que dans les laboratoir­es ancrés sur le terrain en région. Ces deux sources sont essentiell­es et complément­aires. Pour éviter les duplicatio­ns, les inefficaci­tés et les incohérenc­es, des partenaria­ts s’avèrent nécessaire­s dans un esprit de synergies. De nombreux enjeux s’y prêtent bien.

À cet effet, en Gaspésie, en Abitibi-Témiscamin­gue et au nord des Laurentide­s en général, le problème crucial à résoudre réside dans le déclin démographi­que, surtout causé par le progrès technique et technologi­que qui élimine les emplois. Et la solution réside dans la diversific­ation économique de cet immense Québec des régions. Cette périphérie québécoise ne sera jamais l’Ohio ou le sud de l’Ontario. Mais elle sera occupée, aménagée, développée et gouvernée. Les infrastruc­tures sont déjà en place ou en planificat­ion. Il reste aux université­s québécoise­s à optimiser leur engagement, en partenaria­t et en solidarité, pour jouer pleinement leur rôle en ce qui concerne le savoir et le savoir-faire nécessaire­s en ces lieux.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR L’université contempora­ine représente au Québec un véritable moteur d’innovation­s sociales, culturelle­s, politiques et économique­s.

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