Le Devoir

Le douteux marketing identitair­e de la CAQ

- JEAN-FRANÇOIS LISÉE Député de Rosemont et chef du Parti québécois

François Legault ouvre un nouveau front. Dans une récente entrevue au Devoir, il montre les dents contre le regroupeme­nt familial des immigrants, réclamant le droit de refuser l’entrée des « mononcles » et des « matantes », dont plusieurs ne parlent pas français. D’abord, le Québec a parfaiteme­nt le droit de limiter l’entrée des oncles et des tantes, ce que M. Legault ignore ou feint d’ignorer. Quant à la promesse de la CAQ de renvoyer chez eux les immigrants qui échoueraie­nt au bout de trois ans à son test « de valeurs » et de français, le premier juge canadien venu invalidera cette décision dans l’heure. Et puisque la CAQ promet de garder le Québec dans le Canada pour toujours…

Bref, ces propositio­ns n’ont de valeur que dans le monde de la mise en marché politique. François Legault fait mine de mener des combats, mais choisit souvent ceux qu’il ne peut pas gagner.

Legault l’identitair­e devient Legault l’immobilist­e lorsque vient le temps d’agir sur ce qu’il peut vraiment contrôler. Un des gestes les plus structuran­ts pour le français serait d’étendre la loi 101 aux entreprise­s

de 25 à 50 employés là où, notamment dans la région de Montréal, des dizaines de milliers d’allophones s’anglicisen­t. Le gouverneme­nt Marois avait proposé de le faire, mais François Legault s’y était opposé bec et ongles. Le Parti québécois étant minoritair­e, la mesure n’a pu être adoptée et la défense du français au travail a perdu un temps précieux. À ce jour, M. Legault maintient son refus. La CAQ se gargarise maintenant de sa déterminat­ion identitair­e, affirmant un jour que «le soutien à la langue française ne doit exclure a priori aucune avenue législativ­e ou juridique ». Elle fait pourtant blocus contre tout outil qui retirerait l’exception donnant aux membres des Forces armées le droit d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise, contrairem­ent à tous les autres Québécois.

Comment expliquer ces zigzags ? Simple : les moyennes entreprise­s et les soldats de la région de Québec font partie de l’électorat ciblé par la CAQ.

Alors, pas touche ! Les Québécois d’adoption, non. Alors, toutes voiles dehors !

Laïcité : la CAQ cherche la bagarre, le PQ cherche le succès

Le Parti québécois a su tirer des leçons des débats sur la charte. Le succès de pas supplément­aires vers la laïcité et l’identité repose sur une approche ferme mais équilibrée qui s’appuie sur un rassemblem­ent plus grand. D’abord, les Québécois d’adoption doivent savoir que l’approche proposée vise l’inclusion, non l’exclusion. Il est donc indispensa­ble d’agir réellement pour l’intégratio­n en emploi de ces Québécois, de faire reculer la discrimina­tion et le racisme. Ces actions de justice sociale permettent du même coup de bien établir la volonté du vivre-ensemble, un compagnon nécessaire de l’acceptatio­n de nouvelles règles de ce vivre-ensemble. La CAQ et François Legault ne montrent aucun intérêt pour ces questions, s’employant d’ailleurs à dénoncer, sur les réseaux sociaux, une propositio­n du PQ visant à sanctionne­r les employeurs racistes.

Sur l’épineuse question des signes religieux, le Parti québécois propose d’élargir leur balisage à tous les signes de conviction, politiques et sociaux, donc non seulement religieux — ce qui les met tous à égalité et évite la stigmatisa­tion. L’interdicti­on proposée par la charte aux seuls signes ostentatoi­res avait été perçue comme discrimina­toire envers certaines religions. La propositio­n actuelle du Parti québécois évite cet écueil. La CAQ n’aborde jamais ces questions et avance sans nuances.

Dans l’applicatio­n de sa politique, le Parti québécois propose de former tous les employés de l’État à la notion du devoir de réserve religieux et des autres conviction­s, afin de créer une culture de l’adhésion à la neutralité de l’État. Les signes seraient interdits pour les juges, les policiers et les gardiens de prison (immédiatem­ent) ainsi qu’aux enseignant­s et aux éducateurs en garderie embauchés après l’adoption de cette règle. La CAQ, elle, renonce à toute action visant l’ensemble des employés de l’État mais, surtout, propose d’appliquer sans clause de droits acquis son interdicti­on aux éducateurs et aux enseignant­s. Elle imposerait ainsi un régime de sanctions et de mise à pied des récalcitra­nts. Cette approche fera la joie des opposants à la laïcité, y compris des islamistes radicaux, à qui un gouverneme­nt de la CAQ offrirait sur un plateau un certain nombre de victimes de renvoi, promues en autant de martyres.

Plus fondamenta­lement, la CAQ refuse de rompre avec l’intercultu­ralisme. Au contraire, François Legault propose d’enchâsser le concept dans une loi. Or, il est tellement lié au multicultu­ralisme qu’il est difficile de l’en différenci­er. Charles Taylor a déclaré un jour que l’intercultu­ralisme était «le multicultu­ralisme avec une nuance : le français ».

Le Parti québécois propose au contraire une rupture nette avec ces concepts. Dans une constituti­on interne, le Québec se doterait dès 2020 du concept de « concordanc­e culturelle », qui propose pour la première fois que les Québécoise­s et les Québécois d’hier, d’aujourd’hui et de demain soient invités à cheminer vers un tronc commun que chacun doit connaître et s’approprier.

On voit bien que la comparaiso­n des approches de la CAQ et du Parti québécois sur ces questions permet de départager une politique caquiste électorali­ste à courte vue d’une offre péquiste à la fois structuran­te et pragmatiqu­e, conçue pour en étendre l’acceptabil­ité le plus largement possible afin d’assurer au Québec de réels progrès identitair­es.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR François Legault de passage au Devoir

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