Élections sur fond de Brexit
La paix, possible dommage collatéral
Les Irlandais du Nord élisent jeudi leur assemblée régionale, un scrutin anticipé provoqué par la chute de la coalition au pouvoir, sur fond d’accusations de corruption et de Brexit, dans cette province britannique aux équilibres délicats après des décennies de troubles.
Lors du précédent scrutin, en mai 2016, le Parti démocratique unioniste DUP, favorable à l’union avec la Grande-Bretagne, était arrivé en tête avec 38 sièges, devant les nationalistes du Sinn Féin, partisans d’une réunification de l’Irlande (28 sièges), et l’UUP (Unionist Ulster Party, 16 sièges).
Analystes et sondages prévoient une nouvelle victoire du DUP, laissant entière la crise déclenchée par la démission début janvier du vice-premier ministre du Sinn Féin, Martin McGuinness, entraînant celle de la première ministre Arlene Foster, chef du DUP.
Le Sinn Féin reproche à Mme Foster une gestion catastrophique, voire frauduleuse, d’un programme de subventions aux entreprises pour développer les énergies renouvelables, qui aurait coûté des centaines de millions de livres aux contribuables. Michelle O’Neill, qui a remplacé Martin McGuinness à la tête du Sinn Féin, exige le retrait de Mme Foster du gouvernement le temps qu’une enquête soit conduite.
Lors d’un débat télévisé mardi soir, Mme Foster a dénoncé un prétexte. «La raison de cette élection est la volonté du Sinn Féin d’imposer son programme républicain radical en Irlande du Nord », a-t-elle déclaré.
Ce conflit a mis le feu aux poudres, mais n’est pas le seul point de discorde entre les deux partis, qui ont adopté des positions opposées sur le Brexit.
«Le Brexit […] a accéléré la crise politique», explique Jonathan Tonge, professeur de sciences politiques à l’Université de Liverpool. Le DUP a en effet fait campagne pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne quand le Sinn Féin y était hostile. La province de 1,9 million d’habitants a finalement voté à 56% pour rester dans l’UE, tandis que le Royaume-Uni a choisi le Brexit à 52 %.
«Il est décevant et scandaleux que le DUP ait pris le contrepied de la volonté de la majorité des gens ici», a critiqué Mme O’Neill mardi soir.
Le rétablissement d’une frontière ?
Pour Jonathan Tonge, « l’élément le plus désastreux du Brexit serait le retour d’une frontière » avec la République d’Irlande, qui «offenserait profondément les nationalistes ».
Depuis 1922, les habitants d’Irlande et du Royaume-Uni peuvent circuler librement dans le cadre de la Zone commune de voyage. Mais nombre de Nord-Irlandais craignent un retour des contrôles douaniers, qui pourrait pénaliser les échanges commerciaux et nuire à la fragile stabilité née de l’accord de paix de 1998.
«Le processus de paix a été financé par l’Union européenne, et l’accord du Vendredi saint va devoir être réécrit parce qu’il comporte de nombreuses références à l’UE», a également fait valoir l’universitaire.
L’ancien envoyé spécial américain en Irlande du Nord, George Mitchell, qui a joué un grand rôle dans les négociations de l’accord de paix, a aussi souligné la part importante de l’UE. «La sortie du Royaume-Uni de l’UE peut réduire les perspectives d’une coopération approfondie», a-t-il dit sur la chaîne Sky News.
L’accord a mis fin aux violences entre protestants partisans de l’union avec la GrandeBretagne et catholiques souhaitant la réunification avec l’Irlande. Ces violences ont fait 3500 morts entre 1969 et 1998.
L’accord stipule notamment que le gouvernement régional compte obligatoirement un premier ministre et un vice-premier ministre représentant chacun des deux camps. Le Sinn Féin et le DUP se partagent ainsi le pouvoir depuis 2007.
Si le Sinn Féin persiste à refuser de travailler avec le DUP, « on s’oriente probablement vers un minimum de six mois sans gouvernement, voire plus », s’attend l’universitaire Tonge.
Une période pendant laquelle le ministre britannique pour l’Irlande du Nord, James Brokenshire, administrerait depuis Londres la province, tout en essayant d’arracher un accord aux deux parties.
« Le processus de paix a été financé par l’Union européenne, et l’accord du Vendredi saint va devoir être réécrit européenne» parce qu’il comporte de nombreuses références à l’Union Jonathan Tonge, professeur de sciences politiques à l’Université de Liverpool