Partir ou bien rester
À TOI, POUR TOUJOURS, TA MARIE-LOU Texte : Michel Tremblay. Mise en scène: Alexandre Fecteau. Avec Éva Daigle, Hugues Frenette, Marianne Marceau et Catherine Simard. Une production de La Bordée, jusqu’au 18 mars
Dans l’À toi, pour toujours, ta Marie-Lou qu’il signe à La Bordée, le metteur en scène Alexandre Fecteau a voulu coller au plus près au corps de ses quatre personnages. En résulte une version brute et physique de cette pièce créée en 1971, dont on a suffisamment dit à quel point elle traçait le portrait d’une société en transition.
Comme dans l’adaptation signée par Gill Champagne en 2011, le metteur en scène s’est permis de larguer les didascalies inaugurales du texte de Tremblay. Exit, donc, la scène réaliste: celle-ci est divisée en deux espaces de jeu, dont un plan incliné à l’arrière, le décor est réduit au plus simple. En appui aux comédiens, ne subsistent que quelques boîtes de conserve et des bouteilles de bière qui, voyageant sur un convoyeur circulaire entre les deux espaces, viennent souligner l’idée de répétition.
Devant pareil dépouillement, le spectateur se retrouve à lorgner du côté des corps — fatigués —, du côté de leurs mouvements maladroits et limités. Éva Daigle joue avec énergie cette MarieLouise érigée en sainte, devant un Léopold (Hugues Frenette) dont on goûte les fragilités, lui qui est pourtant d’emblée le personnage le plus horrible. Ce bon dosage fait que c’est souvent par lui qu’on entre dans le drame de la pièce.
Dans le couple, l’impasse est palpable du début à la fin: frontale et superficielle au départ, plus complexe à mesure que les masquent tombent. Cette pièce phare de notre répertoire dramaturgique transpire évidemment le contexte religieux; pourtant, aucune distance ne s’installe ici. On ne perd rien de la difficulté à entrer en dialogue, pour cette «gang de tu-seuls, ensemble». C’est sur ce point que les deux parents se rejoignent, égaux dans leur indigence et leur incapacité à aller vers l’autre.
La cellule familiale
Sur le devant de la scène, les deux filles, qui ont hérité de l’impasse familiale, hésitent entre aller de l’avant ou rester sur place. Marianne Marceau incarne une Manon fort pitoyable, qu’on suit pourtant jusqu’au bout dans son entêtement; l’impasse résonne fort, de ce côté. Carmen, campée par une Catherine Simard au jeu plus détaché, restera davantage en marge du drame; son personnage, s’il est celui qui incarne l’émancipation à l’égard d’une famille malade, le fait de façon trop rigide pour qu’on goûte ses hésitations, et pour qu’on mesure tout à fait le poids de son affranchissement.
Les choix de mise en scène, d’ailleurs, imposeront à certains moments une distance avec les personnages, les ressorts psychologiques et les motivations nous échapperont ici et là. En revanche, il faut dire que ces mêmes choix réussissent, dans le dernier segment de la pièce, à faire résonner le texte dans sa portée tragique.
On goûte, au final, l’intelligence de Tremblay qui, ne quittant pas des yeux ses personnages, établit d’une part la radiographie d’une société sclérosée qui peine à s’inventer un avenir, en même temps qu’il distille, d’autre part, un huis clos proprement tragique sur la solitude, une histoire sans issue.