Pitié pour les femmes
LA FEMME COMME CHAMP DE BATAILLE Texte: Matéi Visniec. Mise en scène: Naeim Jebelli. Un spectacle d’Hashtpa Productions présenté au MAI – Montréal, arts interculturels jusqu’au 5 mars.
Avec Une femme à Berlin et Si les oiseaux, le public théâtral montréalais s’était confronté récemment à l’horrifiante réalité du viol comme arme de guerre. L’image très forte de la « femme comme champ de bataille», titre d’une pièce écrite il y a 20 ans par l’auteur franco-roumain Matéi Visniec, avait resurgi dans les discours entourant ses productions. L’oeuvre, largement traduite et diffusée à travers le monde, est actuellement présentée sur la scène du MAI – Montréal, arts interculturels, mais dans une mise en scène d’une telle maladresse qu’elle parvient pratiquement à occulter la complexité de son texte et de son sujet.
Violée puis laissée pour morte, Dorra, originaire des Balkans, séjourne dans une clinique où elle s’enferme dans le mutisme. Kate, psychologue américaine, fait en quelque sorte de même, incapable désormais de s’investir dans sa mission première: accompagner les équipes chargées de dégager les charniers résultant des massacres en ex-Yougoslavie. Les deux femmes se confrontent, puis se rejoignent.
Discutables, certains des éléments sociologiques, historiques et psychanalytiques introduits par Visniec n’en frappent pas moins l’imaginaire, comme la possible application des théories freudiennes dans l’étude du phénomène des guerres interethniques. Postuler la possible existence d’un «nationalisme libidinal» est hardi, mais c’est un peu oublier que le viol de guerre a une histoire beaucoup plus longue que celle de la formation des identités nationales.
Se réclamant pour sa part d’une interdisciplinarité qui consiste à intégrer ici et là un peu de danse et des projections vidéo, le metteur en scène Naeim Jebelli orchestre moins une rencontre entre les arts qu’un placage de composantes qui demeurent illustratives, ou sinon d’un symbolisme plutôt primaire: pièces de casse-tête, braises rougeoyantes, spermatozoïdes frénétiques.
Mais rien ne plombe la représentation autant que la direction d’actrices, dont Nora Guerch et Marie-Ève De Courcy font malheureusement les frais. On n’y trouve aucun contrepoint entre le jeu et le texte: le révoltant est joué de manière révoltée, l’épouvantable est épouvanté, et ainsi de suite. L’intensité atteint si rapidement son maximum que la vocifération devient rapidement le seul mode possible.
Du reste, le plus dérangeant ici est les choix de mise en scène qui trahissent une vision essentialiste et typiquement mâle du féminin, lequel serait par nature douceur, pureté, beauté. Que la guerre soit une affaire d’hommes dont les femmes comptent parmi les premières victimes, voilà qui mérite d’être rappelé haut et fort, tout comme l’importance de la solidarité et le fait que les champs de bataille sont partout. Mais en quoi ces nobles causes sont-elles servies par les complaisantes séquences filmées où les comédiennes nagent nues dans une piscine, renvoi abusif à la noyade et au liquide amniotique s’étirant sur de longues minutes?
Non seulement l’utilisation de ces images finit-elle par être grotesque, mais surtout elle fait pratiquement contresens. À moins bien sûr de vouloir nous rappeler par l’exemple que l’objectification du corps des femmes n’est pas qu’affaire de lutte armée.