Le Devoir

Un adjoint du chef Pichet suspendu

Martin Coiteux refuse de dire s’il fait toujours confiance au directeur du SPVM

- PHILIPPE ORFALI MARCO BÉLAIR-CIRINO

La légitimité du chef de police de Montréal s’est effritée encore davantage, vendredi. Mis au fait d’« informatio­ns » transmises à l’équipe de la Sûreté du Québec chargée de faire la lumière sur les allégation­s criminelle­s qui affligent le SPVM, Philippe Pichet a été contraint de suspendre l’un de ses plus proches alliés, Bernard Lamothe, alors que le ministre de la Sécurité publique refusait de lui réitérer publiqueme­nt sa confiance.

La crise qui frappe depuis des semaines le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a pris une nouvelle tournure avec la suspension immédiate de l’un des hommes de confiance du chef Pichet, le directeur adjoint Bernard Lamothe. Dans un laconique courriel à ses employés, le numéro 1 de la police de Montréal a soutenu en matinée qu’il avait dû «prendre les décisions qui s’imposent pour préserver l’intégrité du service de police».

En entrevue au Devoir, il a toutefois refusé d’en dire davantage sur les graves assertions ayant mené à la suspension de M. Lamothe, 55 ans, responsabl­e de la division stratégiqu­e du SPVM. Ce départ survient au lendemain d’une entrevue accordée au 98,5 FM par le président de la Fraternité des policiers, Yves Francoeur, qui accusait certains membres de l’étatmajor du SPVM de corruption, de trafic d’influence et de relations douteuses avec des membres de la pègre. «Le dernier cas que j’ai soumis à M. Pichet, c’était des allégation­s concernant un

Me Michel Bouchard dirigera l’enquête administra­tive

cadre de premier niveau et un cadre très élevé, des allégation­s criminelle­s d’interféren­ce dans des dossiers pour faire tomber des accusation­s à la cour », a-t-il notamment dit au micro de Paul Arcand. «Il y a un proche de M. Pichet qui fait ou fera l’objet de deux enquêtes criminelle­s relativeme­nt à de la corruption, du trafic d’influence dans des dossiers », a-t-il ajouté.

Le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a appelé la population à la patience. « Toute la lumière » sera faite sur les pratiques du SPVM. D’ici là, il juge inopportun de retirer ou de réitérer sa confiance à l’endroit de M. Pichet, sous pression à la suite de plusieurs reportages dans lesquels d’ex-policiers accusaient le SPVM de ni plus ni moins fabriquer de la preuve afin de museler des employés. «Ça ne sert à rien aujourd’hui de se prononcer sur une personne avant d’avoir fait ce travail», a-t-il martelé en marge d’une annonce dans la métropole.

Il voulait devenir chef de police

Issu du secteur des enquêtes criminelle­s du SPVM, M. Lamothe avait tenté — en vain — de succéder à Marc Parent à la tête du SPVM en 2015. Le maire Denis Coderre avait plutôt recommandé la candidatur­e de M. Pichet.

Ce dernier a affirmé avoir trouvé « extrêmemen­t difficile» de suspendre son adjoint. « C’est difficile de dire à quelqu’un qui travaille depuis aussi longtemps pour la police qu’on doit le mettre de côté. De l’autre côté, comme chef, avec les informatio­ns que j’avais, c’est une décision que je devais prendre. » Tout en refusant de préciser si d’autres membres de l’état-major pourraient faire l’objet d’enquêtes, il a soutenu une fois de plus qu’il est l’homme de la situation. «Si on doit améliorer les choses, on va le faire.»

Martin Coiteux a par ailleurs chargé l’ancien haut fonctionna­ire Michel Bouchard de mener l’enquête administra­tive annoncée la semaine dernière, qui portera sur les pratiques de la division des affaires internes du corps de police ainsi que sur les « enjeux plus systémique­s » liés à la gestion du SPVM.

Me Bouchard a été doté des pouvoirs et de l’immunité d’un commissair­e nommé en vertu de la Loi sur les commission­s d’enquête. Il aura donc le pouvoir de contraindr­e des personnes d’intérêt à témoigner, comme pouvait le faire la juge France Charbonnea­u, qui dirigeait la commission d’enquête sur l’industrie de la constructi­on, par exemple. Il devra ensuite dresser le bilan de divers aspects des enquêtes internes au SPVM, soit «la gestion, l’encadremen­t, les processus et les difficulté­s liés à ce type d’enquête ». Son rapport devra être déposé d’ici au 15 septembre 2017.

Où en est-on?

Cette nomination survient une semaine après l’élargissem­ent de l’enquête sur la gestion des affaires internes du SPVM. Malgré les protestati­ons de l’opposition, c’est la SQ qui demeure chargée de l’enquête, mais en « cogestion » avec la directrice du Bureau des enquêtes indépendan­tes (BEI), Madeleine Giauque. Des policiers de Québec, Gatineau et Longueuil ont aussi été mis à contributi­on.

Face aux allégation­s « extrêmemen­t sérieuses » visant le SPVM, le Parti québécois exhorte le ministre Coiteux à mettre sous tutelle sans tarder le corps de police. «Le ministre ne doit pas avoir peur d’utiliser tous les recours possibles, au lieu d’improviser en ajoutant ici et là des éléments », a déclaré le porte-parole du PQ en matière de sécurité publique, Pascal Bérubé.

Aux yeux de Québec solidaire, la situation commande la tenue d’une «enquête publique étendue et transparen­te, afin de passer les pratiques du SPVM au peigne fin ». La Coalition avenir Québec se garde toujours de demander la mise en tutelle du SPVM. Elle exige le départ de M. Pichet et le contrôle du BEI sur l’examen du SPVM.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le chef Philippe Pichet

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