Sylvie aime Maurice, un couple pas comme les autres
Florence Longpré et Nicolas Michon font vivre un couple pas comme les autres dans Sylvie aime Maurice
Leur première pièce, Chlore, avait causé une belle surprise en 2012. Ce portrait d’une jeune fille emprisonnée dans son corps mariait sensibilité et fantaisie. Promu pour l’occasion de la petite Licorne à la grande, le duo récidive avec Sylvie aime Maurice, un texte encore centré sur des personnages éprouvant des problèmes à communiquer.
Au contraire, la complicité est palpable au sein du couple de coauteurs et grands amis. «L’avantage d’écrire à quatre mains, c’est que Florence et moi, on se complète beaucoup, avance Nicolas Michon, qui signe ici sa première mise en scène solo. Je vais proposer quelque chose de très cartésien, elle va amener un élément plus onirique. Cela permet un dialogue.» «C’est fou qu’on se soit trouvés comme créateurs», ajoute la révélation de l’émission Like moi.
Ils se stimulent l’un l’autre: elle entreprend généralement l’écriture, lui la relance, tente de la pousser plus loin. « J’ai un gros défaut, avoue Florence Longpré : je me tanne rapidement de ce que je fais. Souvent j’arrive avec une idée, je commence à écrire, et puis je tombe dans un stade où je ne trouve plus ça bon. Et Nic me dit: ben non! Et il écrit autre chose.»
D’abord née sous la forme d’une scène que s’est écrite Florence Longpré pour les Auditions du Quat’Sous, Sylvie aime Maurice raconte l’amour liant un homme Asperger (Mathieu Lepage) et une femme (la coauteure ellemême) vivant avec le «trouble de la personnalité évitante». Déjà pas simple pour les «neurotypiques», le couple. Imaginez les complications entre deux personnes « pour qui entrer en relation est extrêmement difficile». Avec l’un qui déchiffre mal les signes non verbaux, et l’autre «qui se sent toujours jugée».
«C’est une histoire de découverte, résume Nicolas Michon. Tout est nouvelle émotion pour eux. Les choses leur arrivent pour la première fois et ils ne sont pas outillés pour ça.» Même les gestes simples, comme un premier baiser, acquièrent «une intensité folle.» Et deviennent une source à la fois de drôlerie et de tristesse. Un sujet délicat, et donc un peu épeurant. « Mais si on permet la dérision à nos personnages, on ne se moque jamais d’eux. »
Les auteurs ont toutefois fait leurs devoirs et se sont documentés sur le spectre de l’autisme. (Tellement qu’après avoir entendu les spécialistes, un membre de l’équipe de création a décidé d’aller passer le test…) «On a un suivi avec la clinique Autisme & Asperger de Montréal. Deux Asperger sont déjà venus voir les enchaînements. C’était si utile. On travaille avec eux à théâtraliser [cette condition] mais en la respectant. »
Ils ont ainsi appris que leur personnage ne devrait pas regarder sa dulcinée dans les yeux. «Le syndrome d’Asperger est une distorsion cognitive, une façon différente de voir l’information, reprend Florence Longpré. Maurice a une perception différente de ce qui l’entoure. Et nous aussi, on a une perception qui est parfois erronée de lui.»
La pièce met donc en jeu le regard qu’on pose sur autrui, l’acceptation de la différence et notre capacité à aller au-delà des apparences. La mise en scène souligne cette notion de perception, avec sa disposition bifrontale: les spectateurs, selon où ils sont assis, « ne voient pas du tout le même spectacle ».
Rendre le quotidien épique
Sur scène, ce couple sera soutenu par une chorale. La musique vient porter l’émotion et le choeur permet l’accès à des personnages « qui n’ont pas nécessairement la voix pour s’exprimer » par les dialogues. La distribution d’acteurs-chanteurs inclut Fabiola Aladin, Frédérike Bédard, Frédéric Blanchette, José Dufour, Yves Morin, Guillaume Rodrigue. Ainsi qu’un narrateur campé par Fayolle Jean, «un Antillais avec une voix dans laquelle on ferait dodo toute la vie». Les créateurs désiraient faire de la place à la diversité, notamment physique. «Si on ne le fait pas, nous, jeunes créateurs, qui va le faire?» demande Nicolas Michon, qui, l’an dernier, a participé à des distributions multiethniques dans Les événements et Fredy, à La Licorne. Pour le tandem, le choeur est aussi une manière de magnifier le réel. «On aime rendre le quotidien épique, note Longpré. Et trouver une beauté dans ce qui est lourd, ou dans la laideur.» «On partage une attention aux détails. On peut être ému par quelqu’un qui fait un sandwich… ajoute son comparse. Nos personnages ont rarement un vocabulaire grandiose. C’est beaucoup la langue
de nos oncles et tantes, qui nous font rire. »
« Nos familles sont une grande source d’inspiration. Et on a travaillé tous deux pendant longtemps dans une base de plein air qui accueillait à la fois une clientèle ordinaire et des cas spéciaux envoyés par les CLSC. On en a vu de toutes les couleurs là. Ça nous a nourris. »
Leur affection pour les personnages marginalisés provient aussi de sources plus intimes. L’isolement, ils ont connu ça. La jeunesse n’a pas été toujours facile, admettent-ils. «On s’en sortait parce qu’on était drôles. » Et au-delà de l’autisme et de la souffrance qu’elle peut créer, c’est aussi à ce sentiment d’exclusion du monde, auquel on peut tous s’identifier, que leur oeuvre renvoie.