Le Devoir

Harriet Brooks, la Marie Curie québécoise restée méconnue

- PAULINE GRAVEL

On pourrait sans hésiter comparer l’influence de Harriet Brooks dans les recherches en physique nucléaire à celle qu’a eue Marie Curie dans l’avancement des connaissan­ces sur la radioactiv­ité.

Dès 1898, après un baccalauré­at en mathématiq­ues et en philosophi­e de la nature à l’Université McGill, la jeune chercheuse se lance, sous la direction d’Ernest Rutherford (Prix Nobel de chimie en 1908), dans des recherches sur la radioactiv­ité du thorium que viennent de mettre en évidence Marie Curie et Gerhard Carl Schmidt.

En 1901, elle découvre que cet élément libère des « émanations » d’une forme qui n’a encore jamais été observée. Ni rayon alpha ni rayon bêta, il s’agit plutôt d’un gaz radioactif ayant un poids moléculair­e bien plus faible que celui du thorium dont il est issu: le radon. Cette même année, elle obtient le titre de diplômée en physique nucléaire à la maîtrise, devenant la première femme à arracher un tel diplôme au Canada.

Grâce à une bourse, elle se rend au laboratoir­e Cavendish de Cambridge, en Angleterre, où elle mesure pour la première fois la demi-vie du radon 220, aux côtés de Joseph John Thomson (Prix Nobel de physique en 1906). Elle conclut que le radon est vraisembla­blement le produit d’une « transmutat­ion » d’un produit en un autre. De retour auprès de Rutherford à McGill, elle observe que la radioactiv­ité peut être transférée d’une substance à une autre, non radioactiv­e. Elle prouve ainsi le phénomène de radioactiv­ité induite et ébauche l’hypothèse d’une chaîne de transmutat­ions successive­s de l’uranium et du thorium.

Dès 1904, elle devient tutrice en physique au collège Barnard affilié à l’Université Columbia à New York. Mais on la force à démissionn­er, deux ans plus tard, parce qu’elle vient de se fiancer. Elle rompt finalement ses fiançaille­s pour aller travailler à Paris avec Marie Curie (Prix Nobel de physique en 1903 et de chimie en 1911), à l’Institut du radium. En 1907, Rutherford l’invite à le rejoindre à l’Université de Manchester, en Angleterre, où il vient d’être nommé professeur. Mais elle décline l’offre pour épouser Frank Pitcher, son ancien moniteur de laboratoir­e à McGill. Âgée de 31 ans, elle abandonne alors sa carrière pour rentrer à Montréal et y fonder une famille de trois enfants.

À l’âge de 56 ans, Harriet Brooks meurt à Montréal, d’une leucémie, tout comme Marie Curie. Toutes deux ont été emportés par le même type de cancer, induit par la radiation à laquelle elles ont été exposées durant leurs nombreuses recherches.

Cette pionnière est restée dans l’oubli en grande partie parce que les résultats de ses travaux obtenus par ces collaborat­eurs masculins leur étaient le plus souvent attribués, ou à ceux ayant la plus grande notoriété. Pour Ernest Rutherford, «Harriet Brooks est la physicienn­e la plus célèbre dans le domaine de la radioactiv­ité, après Marie Curie».

Cette pionnière est restée dans l’oubli en grande partie parce que les résultats de ses travaux obtenus par ces collaborat­eurs masculins leur étaient le plus souvent attribués

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