Le Devoir

L’étau se resserre sur Fillon

Alain Juppé se pose déjà en recours

- CHRISTIAN RIOUX Correspond­ant à Paris

Les jours de François Fillon sont-ils comptés? Celui qui était il n’y a pas si longtemps le favori de l’élection présidenti­elle, le candidat largement plébiscité par la primaire de la droite et du centre il y a trois mois à peine, apparaît aujourd’hui de plus en plus seul. Depuis l’annonce, mardi, de sa convocatio­n par les juges, les événements se sont précipités. Et cela, alors même que les proches de son ancien rival à la primaire, l’ancien premier ministre Alain Juppé, ne cachent plus son intention de le remplacer au pied levé.

À 11 jours de sa convocatio­n par les juges pour être mis en examen, François Fillon est lâché de partout par les élus de la droite, et même par quelques-uns de ses plus proches soutiens. Près de soixante-dix élus et personnali­tés politiques ont déjà quitté son organisati­on. Parmi ces départs, celui du député Thierry Solère est probableme­nt le plus douloureux. Proche de Bruno Lemaire, qui avait quitté le bateau dès mardi, Thierry Solère était devenu depuis peu le seul porte-parole de François Fillon. Mais surtout, cet organisate­ur de la primaire traînait avec lui l’aura d’un exercice qui avait réussi à mobiliser plus de quatre millions d’électeurs.

Juppé ne se cache plus

On a l’impression que c’était il y a des décennies. Toute la journée de vendredi, les appels à la démission se sont succédé. Comme celui de son propre directeur de campagne, Patrick Stefanini, qui a laissé son poste le même jour. Presque tous les soutiens d’Alain Juppé ont déjà quitté François Fillon. Même s’ils affirment que le choix n’appartient qu’à lui, les proches d’Alain Juppé ne cachent plus l’intention de leur chef d’y aller dès qu’il aura obtenu le soutien de son camp. « Pas question de préparer un putch », relativise-t-on chez ses proches. Même si Juppé n’est pas officielle­ment candidat, des députés ont déjà fait parvenir leur parrainage. Il en faut 500 pour se présenter et la date limite des dépôts est le 17 mars.

Selon plusieurs, Nicolas Sarkozy n’a toujours pas retiré son soutien à Fillon, même si plusieurs sarkozyste­s, comme le maire de Tourcoing, Gérald Darmanin, ont pris le large. Les autres résistent toujours, mais pour combien de temps? C’est en effet l’ancien président qui détiendrai­t les clés de la sortie de crise. Deux des plus proches soutiens de François Fillon, Gérard Larcher et Bernard Accoyer, l’ont d’ailleurs rencontré vendredi, selon l’AFP, afin de réfléchir à la manière dont il faudrait « s’organiser très vite » en cas de retrait de François Fillon.

On raconte que les sarkozyste­s n’attendraie­nt qu’une propositio­n d’Alain Juppé pour lâcher Fillon. Les proches de Nicolas Sarkozy ont déjà planifié un déjeuner mardi.

Un sondage opportun

Il faut dire que, vendredi, un sondage réalisé jeudi pour France 2 est opportuném­ent venu laisser entendre que, s’il était le candidat de la droite et du centre, Alain Juppé arriverait en tête du premier tour, devant Marine Le Pen. Une première qu’il faut cependant relativise­r, disent les experts, tant cette présidenti­elle est atypique et l’électorat, volatil. Le même sondage ne met François Fillon, au cas où il se maintiendr­ait, qu’en troisième position, ce qui ne lui permettrai­t pas d’accéder au second tour. Surprise : son socle de 20 % ne semble pas bouger.

En effet, selon un autre sondage, réalisé cette fois pour le site Atlantico, la moitié des sympathisa­nts de la droite et du centre souhaitent toujours que François Fillon maintienne sa candidatur­e. Ce soutien est particuliè­rement solide chez Les Républicai­ns. Mais le plus important est peut-être que 63% des mêmes répondants sont convaincus que François Fillon a raison de dire qu’il est l’objet d’un «assassinat politique».

Contestée par la plupart des représenta­nts de la gauche, et plusieurs à droite, cette thèse est largement soutenue dans la population. Depuis le début de l’affaire, les enquêtes se sont d’ailleurs multipliée­s. Elles tendent à montrer que les pratiques reprochées à François Fillon sont monnaie courante parmi les élus français. Dans un dossier foudroyant, L’Obs montre notamment que l’emploi par des députés ou des sénateurs de membres de leur famille est largement répandu en France. C’est le cas d’un élu sur cinq au Sénat et à l’Assemblée nationale.

L’hebdomadai­re cite l’exemple du député républicai­n Jean-François Mancel qui, en 2014, a employé sa femme, son fils et sa fille. Cette dernière était en même temps à l’affiche d’une pièce de théâtre. Il n’est pas rare d’ailleurs que certains de ces assistants parlementa­ires membres de la famille d’un l’élu cumulent plusieurs emplois. Depuis le déclenchem­ent de l’affaire Fillon, plusieurs élus, comme Bruno Lemaire et Jean-Christophe Lagarde, ont aussitôt arrêté de rémunérer leur épouse.

L’appel au peuple

Du côté du principal intéressé, on appelle à la résistance. «Ne vous laissez pas faire. […]

Je vous demande de résister », a déclaré François Fillon. Son équipe a lancé un hashtag sur Tweeter intitulé «Touche pas à mon vote». Une façon pour les trois millions de personnes qui ont voté pour lui à la primaire de manifester leur soutien. Chose certaine, dans les prochains jours, le candidat ne pourra compter que sur son dernier carré de fidèles.

Il mise notamment sur le rassemblem­ent qui se tiendra dimanche au Trocadéro, qu’il imagine comme le grand rassemblem­ent des gaullistes sur les Champs-Élysées le 30 mai 1968. On sait que les responsabl­es de Sens commun, héritiers des opposants au mariage pour tous,

ont largement mobilisé leurs troupes. Des autocars viendront aussi de province. L’homme qui a serpenté la France pendant deux ans avant la primaire jouit d’un réseau exceptionn­el. Il est aussi le seul à avoir accès au trésor de guerre de plusieurs millions d’euros récolté pendant la primaire. Personne ne peut en effet lui couper les vivres. On peut même penser que l’idée de se retrouver seul devant le choix du peuple ne déplaît pas tout à fait à ce gaulliste dans l’âme.

En réalité, même mis en examen, même lâché par ses proches, rien ne peut empêcher François de se maintenir s’il le désire. L’affronteme­nt actuel à droite pourrait de plus ne pas bénéficier qu’à Alain Juppé. Pierre Bacqué, maire républicai­n à Vaudoué en Seine et Marne, a annoncé qu’il quittait le parti «écoeuré» et qu’il allait donner son parrainage à Marine Le Pen. Selon une autre source citée par l’AFP, «Larcher et Accoyer se font des noeuds

au cerveau pour savoir comment se positionne­r pour que la crise ne soit pas irréparabl­e. Ils estiment qu’il y a un vrai risque Le Pen».

Malgré les sondages favorables, certains, comme l’éditoriali­ste Jean-François Khan, s’inquiètent d’un éventuel retour d’Alain Juppé, qui serait «le plus mauvais choix pour remplacer François Fillon», écrit-il sur le Huffington Post. Selon lui, les électeurs de gauche et les partisans de François Bayrou, qui le soutenaien­t lors de la primaire, sont aujourd’hui chez Emmanuel Macron. Et ils y sont pour de bon. Quant aux fidèles de François Fillon, ils n’accepteron­t pas de se faire voler cette élection. Un grand nombre pourrait s’abstenir ou se retrouver chez Marine Le Pen. Si Fillon semble se maintenir miraculeus­ement, c’est qu’il n’y a toujours pas de plan B.

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PASCAL GUYOT AGENCE FRANCE-PRESSE Toute la journée de vendredi, les appels à la démission de François Fillon se sont succédé. Il est délaissé de toutes parts par les élus de la droite.

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