Le Devoir

Michel David sur la carte électorale et la lutte des classes

MICHEL DAVID

- mdavid@ledevoir.com

Il est bon d’avoir le sentiment qu’il peut y avoir une justice en ce monde et que la raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure. C’est ce que plusieurs ont dû penser en apprenant que Sainte-Marie–Saint-Jacques échappera finalement au couperet de la Commission de la représenta­tion électorale (CRE).

Il y a des débats qui prennent parfois des allures de lutte des classes. Cela avait été le cas il y a une douzaine d’années, quand il avait fallu trancher sur l’emplacemen­t du nouveau CHUM. Le site de la gare de triage du Canadien Pacifique, à Outremont, qui avait la faveur du premier ministre Charest, était présenté comme le choix des possédants, représenté­s par la famille Desmarais, à laquelle on prêtait de sombres arrière-pensées mercantile­s.

Le site de l’hôpital Saint-Luc, dans le centrevill­e, qui a finalement été choisi, était défendu bec et ongles par Philippe Couillard, alors ministre de la Santé, la Direction de la santé publique, les syndicats, les organismes communauta­ires et le PQ, qui ne pouvaient évidemment avoir que de nobles motivation­s.

Au cours du dernier mois, le débat sur le redécoupag­e de la carte électorale est devenu tout aussi manichéen. Allait-on préserver l’intégrité de ces châteaux forts de la bonne bourgeoisi­e et du PLQ que sont Outremont et Mont-Royal ou cette «communauté naturelle» des déshérités et des marginaux qu’on retrouve dans le Centre-Sud?

Cette victoire du « monde ordinaire» est aussi celle de Manon Massé, et elle est de taille. Dans un style bien différent, elle assurait déjà brillammen­t la relève de Françoise David à l’Assemblée nationale. Elle devient maintenant une véritable héroïne. On peut parier que la prochaine élection sera beaucoup moins serrée dans Sainte-Marie–Saint-Jacques. On peut aussi imaginer le redoutable tandem que Mme Massé pourrait former avec Gabriel Nadeau-Dubois.

Cette victoire du «monde ordinaire » est aussi celle de Manon Massé, et elle est de taille

Après le rejet de la demande d’injonction de deux militants de QS et le refus du gouverneme­nt Couillard d’appuyer le projet de loi qui aurait permis de nouvelles consultati­ons, les carottes semblaient cuites. Si la CRE voulait faire la démonstrat­ion qu’elle n’est pas à la solde de ce dernier, c’est parfaiteme­nt réussi.

Le leader parlementa­ire du gouverneme­nt, Jean-Marc Fournier, et la ministre responsabl­e de la Réforme des institutio­ns démocratiq­ues, Rita de Santis, font figure d’arroseurs arrosés dans cette histoire. Quand la CRE avait d’abord annoncé la disparitio­n de Sainte-Marie–SaintJacqu­es, ils avaient invoqué la nécessité de respecter son indépendan­ce. Ils seraient aujourd’hui bien malvenus d’intervenir, maintenant que les choses ont tourné au désavantag­e du PLQ, qui avait pourtant mis le paquet pour éviter la fusion d’Outremont et de Mont-Royal.

Ni le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Arcand (Mont-Royal), ni sa collègue de l’Enseigneme­nt supérieur, Hélène David (Outremont), n’ont voulu faire des conjecture­s sur leur avenir personnel, mais une rumeur voulait déjà que le premier ne sollicite pas le renouvelle­ment de son mandat en octobre 2018. Cela laisserait à Mme David tout le loisir de se représente­r dans la nouvelle circonscri­ption issue de la fusion.

Dans le cas de Saint-Maurice, qui disparaîtr­a également, la perte libérale est toute relative. Le 7 avril 2014, Pierre Giguère l’avait emporté avec seulement 653 voix de majorité sur le candidat péquiste. Lors des quatre élections précédente­s, la victoire était allée soit au PQ, soit à la défunte ADQ.

Le maire Coderre, qui devait bien prêcher pour sa paroisse, a jugé «inacceptab­le» que Montréal perde une circonscri­ption et subisse ainsi une diminution de son poids politique. On ne peut cependant pas dire qu’il y a péril en la demeure. 12 des 26 membres actuels du Conseil des ministres ont été élus sur l’île de Montréal. Si on inclut Laval et la Rive-Sud, ce nombre grimpe à 15.

Le bonheur des uns faisant le malheur des autres, le conseiller municipal du district de Snowdon, Marvin Rotrand, a dénoncé la «dilution » de la représenta­tion de la communauté anglophone à l’Assemblée nationale. Selon lui, il aurait été plus équitable d’éliminer une circonscri­ption «sous-peuplée», que ce soit en Abitibi-Témiscamin­gue ou dans le Bas-SaintLaure­nt. De leur côté, les communauté­s juives hassidique­s d’Outremont craignent d’être «divisées » par les nouvelles délimitati­ons.

On ne peut contenter tout le monde et son père. En 2010, le Directeur général des élections, de qui relève la CRE, avait précisémen­t proposé d’éliminer des circonscri­ptions en région, où la population était en baisse. Mal lui en prit. Libéraux et péquistes lui étaient tombés dessus à bras raccourcis, l’accusant de « trahison » envers les sacro-saintes régions.

Depuis des années, tout le monde répète que la solution réside dans la réforme du mode de scrutin. Si le passé est garant de l’avenir, il est malheureus­ement à prévoir que la prochaine révision de la carte électorale donnera lieu à un nouveau psychodram­e.

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