Souffle au coeur
Florent Siaud offre un spectacle cohérent mais sans aspérités
DON JUAN REVIENT DE LA GUERRE Texte: Ödön Von Horváth. Traduction: Hélène Mauler et René Zahnd. Mise en scène: Florent Siaud. Une production du Groupe de la Veillée. Au Théâtre Prospero jusqu’au 25 mars.
En quelques années seulement, le Français Florent Siaud s’est taillé une place enviable et méritée dans le milieu théâtral québécois. Avant de créer le plus récent texte d’Étienne Lepage, Toccate et fugue, au Théâtre d’Aujourd’hui, le metteur en scène renoue ces jours-ci avec le Groupe de la Veillée, avec lequel il avait dirigé en 2015 Illusions d’Ivan Viripaev, une méditation contemporaine aussi cocasse que sensible sur l’inconstance du sentiment amoureux. Disons que la matière retenue cette fois est plus aride, un texte d’Ödön Von Horváth écrit en 1935, en pleine montée du nazisme: Don Juan revient de la guerre.
Le séducteur, devenu mythique au fil des siècles, notamment grâce à Tirso de Molina et Molière, a ici perdu de sa superbe. Nous sommes en 1918, le jour de l’Armistice, dans une Allemagne dont les ruines sont matérielles, mais aussi sociales et morales. Le soldat qui revient de la guerre est dans un état de dégénérescence qui n’est pas sans rappeler celui du Vicomte et de la Marquise dans le Quartett de Heiner Müller, pièce avec laquelle, rappelons-le, nous avons découvert Siaud à La Chapelle en 2013. À la recherche de sa fiancée, dont il n’apprendra la mort qu’à la toute fin de son périple, ce Don Juan moderne ira à la rencontre de 35 femmes, toutes plus humiliées les unes que les autres.
Une fois de plus, le metteur en scène a pris le temps de soigner l’écrin. Avec sa passerelle, sa porte coulissante, son grand rideau et ses vastes projections vidéo, l’objet est ravissant, mais on cherche parfois le sens de certains effets, de certaines répétitions. Il en va de même pour le jeu, grotesque, voire expressionniste, qui, tout en étant indéniablement cohérent, finit par ennuyer. Maxim Gaudette est toujours juste, mais il donne peu de nuances au fourbe esseulé qu’il incarne. Quant à Evelyne de la Chenelière, Kim Despatis, Marie-France Lambert, Danielle Proulx, Évelyne Rompré et Mylène St-Sauveur, pourtant convaincantes dans leurs nombreux personnages, on se lasse de les voir si souvent bouches ouvertes, montrant les dents, émettant des râlements et ponctuant les dialogues sur un mode choral.
Le spectacle de Florent Siaud nous arrive malheureusement quelques mois après Une femme à Berlin, bouleversante adaptation scénique du journal de Marta Hillers signée Brigitte Haentjens. On y pense nécessairement, parce que deux comédiennes appartiennent à la distribution des deux spectacles, mais surtout parce que les thèmes de la guerre et de la violence faite aux femmes étaient abordés de manière bien plus convaincante dans la production de Haentjens. En somme, l’univers imaginé par Siaud à partir de Von Horváth est plutôt gris, sans véritable aspérité, sans une valeur, une conviction ou un espoir auquel s’accrocher. Si bien que malgré le caractère très actuel de la cruauté et de l’incommunicabilité qui y sont dépeintes, on se surprend à ressentir bien peu d’empathie.