Le Devoir

Banksy reconstitu­e un hôtel à l’ombre du mur en Cisjordani­e

- JOSEPH DYKE à Bethléem

L’artiste de rue britanniqu­e Banksy a révélé vendredi à Bethléem sa nouvelle création dans les Territoire­s palestinie­ns, un hôtel jouxtant le mur de séparation construit par Israël. Hotel Walled Off est à l’image de l’oeuvre de Banksy, transfigur­ant la réalité avec poésie et une fausse naïveté : les chambres donnent directemen­t sur le mur, un des emblèmes d’un conflit vieux de presque 70 ans.

L’hôtel Walled Off s’inscrit aussi dans une actualité qui fait la part belle aux murs de séparation. L’établissem­ent offre «la pire vue que l’on puisse avoir d’un hôtel», a affirmé Banksy dans un communiqué.

Le Walled Off joue sur le nom d’une chaîne d’hôtels de luxe et sur l’expression «walled off», «coupé par le mur» en anglais.

Dans un ancien immeuble résidentie­l situé à quelques mètres du mur et vidé de ses occupants, Banksy a reconstitu­é avec son équipe un hôtel à l’intérieur un peu suranné, s’amusant à détourner des motifs célèbres pour la décoration.

Sur les neuf chambres, sept ont été décorées par Banksy lui-même, tandis que les deux autres l’ont été par des artistes canadiens et palestinie­ns.

Au-dessus d’un des lits, un soldat israélien et un manifestan­t palestinie­n se livrent à une bataille d’oreillers. Dans la suite présidenti­elle, une baignoire à remous est alimentée par un ballon d’eau ressemblan­t à ceux installés sur les maisons de nombreux Palestinie­ns.

Le directeur de l’hôtel, Wissam Salsaa, insiste toutefois sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un simple projet artistique, mais d’un véritable hôtel avec des chambres à louer, à partir du 20 mars, à 30 dollars la nuit pour les plus abordables.

Banksy, dont ni l’identité ni le visage ne sont connus, n’était pas présent, laissant d’autres parler pour lui.

Les conflits, le mur et les Territoire­s palestinie­ns sont une source d’inspiratio­n pour Banksy, rendu célèbre par ses peintures anonymes au pochoir dans l’espace public.

Une grande partie de la ville de Bethléem vit à l’ombre du mur.

Israël a commencé en 2002 la constructi­on de cette barrière, composée à cet endroit de blocs de béton de plusieurs mètres de haut, pour se protéger des incursions de Cisjordani­e occupée en pleine vague d’attentats palestinie­ns au cours de la deuxième Intifada. Achevée aux deux tiers, la barrière, alternant tronçons en béton et clôtures, doit atteindre à terme environ 712km, selon l’ONU.

Empiétant à 85% en Cisjordani­e, elle est pour les Palestinie­ns l’un des symboles les plus honnis de l’occupation israélienn­e.

Du côté palestinie­n, le mur est à la fois un lieu de protestati­on habituel et un terrain d’expression politico-artistique. Les fresques qui le recouvrent par endroits en font une attraction.

Des graffitis pour ouvrir les esprits

Banksy s’était déjà rendu à Bethléem en 2007, laissant derrière lui un certain nombre de graffitis, dont une fillette en robe fouillant au corps un soldat les bras en l’air, son fusil posé à côté de lui.

Accompagné d’une quinzaine d’autres artistes, il avait séjourné en secret dans la ville où est né Jésus selon la tradition chrétienne, et avait exposé ses oeuvres dans une galerie éphémère installée sur la place principale, face à l’église de la Nativité.

Les profits avaient été reversés à des oeuvres charitable­s pour les enfants et les hôpitaux palestinie­ns. Certaines de ses peintures avaient atteint des centaines de milliers de dollars aux enchères.

En 2005, il avait peint neuf pochoirs sur le mur. Il avait alors affirmé que le mur, appelé «barrière de sécurité» par Israël et « mur de l’apartheid» par les Palestinie­ns, était illégal. Le mur «est la destinatio­n touristiqu­e par excellence pour les graffiteur­s», disait-il.

Ses pochoirs — dont une échelle posée contre le mur, une petite fille emportée par des ballons et une fenêtre s’ouvrant sur un paisible paysage montagneux — voulaient mettre en évidence l’impact du mur sur la vie des Palestinie­ns.

En 2015, il serait entré secrètemen­t par un tunnel dans la bande de Gaza recluse pour peindre trois oeuvres sur les murs de l’enclave palestinie­nne dévastée l’année précédente par une nouvelle guerre avec Israël.

Banksy, qui entretient le plus grand mystère sur son identité, a commencé à se faire connaître en 2003 à Londres par ses graffitis subversifs — gardes royaux en train d’uriner sur un mur, policiers échangeant un baiser passionné.

 ?? DUSAN VRANIC ASSOCIATED PRESS ?? L’hôtel Walled Off, le projet fou de l’artiste Banksy, entre Israël et la Palestine, avec le mur de séparation comme décor
DUSAN VRANIC ASSOCIATED PRESS L’hôtel Walled Off, le projet fou de l’artiste Banksy, entre Israël et la Palestine, avec le mur de séparation comme décor
 ?? THOMAS COEX AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Les chambres de l’hôtel Walled-Off offrent un regard critique sur les murs de séparation.
THOMAS COEX AGENCE FRANCE-PRESSE Les chambres de l’hôtel Walled-Off offrent un regard critique sur les murs de séparation.
 ?? DUSAN VRANIC ASSOCIATED PRESS ?? Au-dessus d’un lit, un soldat israélien et un manifestan­t palestinie­n font une bataille d’oreillers.
DUSAN VRANIC ASSOCIATED PRESS Au-dessus d’un lit, un soldat israélien et un manifestan­t palestinie­n font une bataille d’oreillers.

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