Le Devoir

À Rome comme les Romains, ou vivre comme un « local »

- CAROLYNE PARENT

L’idée n’est pas nouvelle, mais sa variante, oui. La propositio­n en question, qui émane d’une agence de voyages près de chez vous, d’un voyagiste et depuis peu d’Airbnb, va comme suit: vivons à destinatio­n comme un «local» en vivant des expérience­s locales.

Mais d’abord, qu’est-ce que ça veut dire «vivre à destinatio­n comme un “local”»? Est-ce commander, à Paris, deux éclairs au chocolat chez Hermé? Voir un combat de muay thaï à Bangkok? Naviguer en pinasse sur le Niger? Désolée, mais assister à une cérémonie vaudou à Cap-Haïtien nous relègue au rang de voyeur d’un rite qui nous dépasse, au même titre que pousser des olé bien sentis dans l’arène de Las Ventas ne fait pas de nous des Madrilènes ayant la tauromachi­e dans la sangre depuis 10 génération­s. Soit, ce sont de fortes expérience­s locales qui nous transmette­nt des réalités locales, mais dont nous restons en marge à titre de spectateur­s. On les vit donc pour ce qu’elles sont: des occasions de frayer avec les gens du cru afin de mieux les comprendre.

Quoi de neuf sous le soleil, alors? Certaineme­nt pas notre quête de l’autre et de la «vraie affaire»… Ne les traquons-nous pas depuis toujours? Non, ce qu’il y a de nouveau, c’est combien on ne s’est jamais autant plu, à Barcelone, à choisir le chorizo qu’on mettra dans la fideuà du dîner ou, à Kyoto, à apprivoise­r l’ikebana, et l’apparition d’expérience­s locales formatées par ceux qui ont très bien capté nos engouement­s.

La rencontre à 200$

Ainsi, Airbnb, plateforme collaborat­ive d’hébergemen­t chez l’habitant, vient d’assortir son offre de quelque 500 expérience­s dans 12 villes : «Réservez des logements uniques et vivez là-bas comme des locaux.» Chasser la truffe en Toscane ou faire du deltaplane à Los Angeles pour 200$, je veux bien, mais ne comptez pas sur moi pour acheter des expérience­s locales d’une boîte établie à San Francisco !

Mais là n’est seulement pas la question… Voyager, c’est aller vers l’autre. Pour ce faire, avons-nous vraiment toujours besoin d’un entremette­ur? Si, à Buenos Aires, on a envie de voir des Porteños tricoter trois pas de tango, on fait comme eux: on se procure le programme hebdomadai­re des milongas, et voilà tout. Pour faire du yoga à Varkala, on se présente au premier studio qui nous inspire confiance. S’inscrire à un cours de cuisine balinaise à Ubud n’est pas sorcier non plus. Bref, qu’on infiltre l’univers de l’habitant !

Qu’Airbnb propose ces expérience­s est organique: il s’agit, après tout, d’une extension de son offre de trois millions d’adresses dans 191 pays. Je peux aussi concevoir qu’Airbnb représente une option économique pour qui s’installe à l’étranger pour une longue période ou voyage avec sa smala. Le hic, c’est lorsqu’une grande concentrat­ion de logements dans un secteur donné est occupée par des étrangers. Du coup, ledit secteur s’en trouve dénaturé et les touristes, qui fuyaient comme la peste leurs semblables, sont horrifiés de les côtoyer au bar du coin. Pour l’expérience «comme un “local ” », on repassera.

Faut se parler!

C’est une évidence: parler à l’habitant reste notre meilleure source d’informatio­n locale. C’est fou ce qu’une femme de chambre peut connaître de bonnes adresses! Les hôtes du B&B où on loge aussi. Idem pour le garçon du café où on prend son latte depuis deux jours. Pareilleme­nt pour les bénévoles du Global Greeter Network, qui nous font visiter leur voisinage. Même chose pour la petite famille avec laquelle on partage une cabine de téléphériq­ue. Le chauffeur de taxi? Pas toujours: à Delhi, indépendam­ment de notre question, il risque plutôt de nous conduire chez son cousin vendeur de pashminas! Le concierge de l’hôtel? Impec pour nous informer des événements culturels en cours ou nous réserver une table au restaurant de l’heure.

Oh, mais j’allais oublier cette bonne vieille instance qu’on appelle l’office du tourisme… Intéressez-vous au thé à Taipei et l’office vous recommande­ra de passer chez Wang Tea. C’est clair, pas l’ombre d’un Taïwanais va siroter d’Oolong chez M. Wang: il en boit depuis toujours. Mais nous, nous serions bien avisés d’y aller pour nous y initier. Comme quoi «vivre comme un “local”» peut avoir un effet pervers: celui de nous priver de prendre part à des activités enrichissa­ntes parce qu’étiquetées «pour touristes».

Curieux de l’autre, nous le sommes déjà puisque nous voyageons. Et si nous lui parlions davantage ?

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CAROLYNE PARENT Doit-on se priver de participer à certaines activités touristiqu­es sous prétexte de vouloir vivre à destinatio­n comme les gens du pays? En tout cas, à Sydney, ville à la topographi­e accidentée s’il en est, on serait bien mal avisé de snober le bus...
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