Le Devoir

Jacques Kuba Séguin, de jazz, de pop et de classique

Le Montréalai­s présente le Litania Projekt, une rencontre entre quartet jazz et quatuor classique

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ Le Devoir En spectacle le 5 mars au Centre Segal des arts de la scène dans le cadre de Montréal en lumière.

Lundi matin, un café italien rue Saint-Viateur, discussion­s croisées entre réguliers et clients de passage. Jacques Kuba Séguin, lui, se remémore une rencontre avec Jean Leloup dans ce même lieu, il y a une douzaine d’années. En peine d’amour d’une actrice qui s’était poussée en Europe mais qui aimait la trompette, Leloup avait embauché Kuba Séguin en lui confiant une mission : «Si tu me la ramènes, je te donne tout! Tout!»

Du Leloup pur jus, bien imité par Kuba Séguin — qui rigole encore de l’anecdote. La trompette comme dernier recours pour reconquéri­r un coeur parti là-bas? Pourquoi pas? Une manière de souffler les mots de la chanson Voilà : «Je veux te dire que je t’aime, voilà / Je veux te dire que quand tu m’aimes / Je me sens presque exactement / Aussi heureux que le soleil quand il descend dans l’océan». «On avait fait une version de Voilà avec des brass !» se rappelle aussi le trompettis­te.

L’actrice n’est pas revenue, malgré les incantatio­ns trompettée­s. Mais Kuba Séguin a eu bien du plaisir avec l’explosive tournée Exit menée par Leloup. Et il en a eu aussi avec Ariane Moffatt, ou encore avec le Cirque du Soleil (150 villes avec le spectacle Delirium), ou Tiken Jah Fakoly, ou Pierre Lapointe…

«C’est l’fun, les tournées pop», dit-il alors que l’entrevue se déplace vers chez lui — en diagonale du café prénommé. Il est né dans le quartier, mère polonaise et père québécois. Il y reste encore avec ses deux filles, audessus de chez sa mère. «C’est l’fun, mais c’est nécessaire­ment une machine avec laquelle on essaie de garder une routine quasi olympique une fois que tout est huilé et calé», poursuit-il en montant l’escalier qui mène chez lui, un épagneul dans les pattes. «Alors que le jazz…»

Quoi, le jazz? «Bien, le jazz, ça implique qu’il faut créer le risque tous les soirs. Il faut se lancer dans le vide. C’est très stimulant et enivrant. Il faut se réinventer chaque fois. Et quand on ne le fait pas, quand on joue prudent, le public le sent. Alors, on n’a pas le choix.»

Jazz ouvert

Kuba Séguin est un musicien (très actif) qui écoute large, qui aime large. «Je suis un trippeux de musique qui s’adonne à jouer de la trompette», résumera-t-il un peu plus tard devant une tranche de gâteau aux bananes maison sur laquelle l’épagneul pose un oeil discret. Il adore le classique, en écoute «énormément». Mais tout revient toujours au jazz.

«J’aime la dynamique du jazz, explique celui qui a été révélation musicale de Radio-Canada en 2012-2013. Le décontract du jazz, la stimulatio­n du jazz, la liberté du jazz.» Celle qui, précisémen­t, permet de tout tenter.

Par exemple? Ce Litania Projekt que Jacques Kuba Séguin mène depuis quelques années en parallèle de multiples autres activités — dont le sextuor Odd Lot — et qu’il présentera sur scène dimanche dans le cadre de Montréal en lumière. Un quartet jazz (Kuba Séguin à la trompette, Jom Doxas à la batterie, Jonathan Cayer au piano et Frédéric Alarie à la contrebass­e) doublé ici du Quatuor Bozzini (Clemens Merkel, Stéphanie Bozzini et Alissa Cheung aux violons, Isabelle Bozzini au violoncell­e): heureux mélange.

L’album que les huit musiciens ont concocté en commun l’an dernier a été chaudement accueilli (notamment par Le Devoir): finaliste pour le Félix de l’album jazz de l’année alors que Kuba Séguin décrochait aussi une nomination comme arrangeur de l’année.

«C’est mon projet “esthétique ECM”», dit le musicien en faisant référence

au son très particulie­r de la célèbre maison de disques allemande, spécialist­e des ambiances feutrées et du jazz de chambre à l’européenne.

Il énumère: «Un mélange de musique classique et de jazz, avec un côté très aérien dans le son et beaucoup d’introspect­ion… sans que ce soit trop cérébral.»

Des émotions

Autre éclat de rire d’un gars qui les multiplie au fil d’une longue conservati­on menée dans sa cuisine, sous un puits de lumière généreux. « Non, mais c’est vrai: j’aime quand la musique est simple et qu’elle parle. Certains diront que je fais du pop jazz? Je ne sais pas. Je n’écris pas de la musique compliquée, c’est sûr. Je veux que ce soit lyrique, que des émotions émergent. Et dans le Litania Projekt, chaque note compte. C’est d’ailleurs souvent stressant: il faut fendre le silence en assumant chaque son, chaque texture. »

Parlant de son et de texture, Kuba Séguin en vient à présenter sa trompette-fétiche, une Adams faite sur mesure, avec un pavillon large comme sur les trompettes qu’affectionn­e Wynton Marsalis. Il raconte qu’il « déteste les trompettes au son trop clair », que la «quête du bon instrument est la quête d’une vie», et montre l’alliage de cuivre des pistons de sa trompette… Intarissab­le. «J’adore ça», répète-t-il. On redescend l’escalier, l’épagneul encore heureux d’être content. Tout va.

 ??  ??
 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? «J’aime quand la musique est simple et qu’elle parle. Certains diront que je fais du pop jazz? Je ne sais pas.»
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR «J’aime quand la musique est simple et qu’elle parle. Certains diront que je fais du pop jazz? Je ne sais pas.»

Newspapers in French

Newspapers from Canada