Iqaluit, si loin, si proche
Benoît Pilon retourne dans le Nord avec un drame sur la perte de l’autre
Amoureux du Grand Nord, le réalisateur Benoît Pilon y revient dans Iqaluit, dix ans après Ce qu’il faut pour vivre, et le documentaire Des nouvelles du Nord. Sous son regard, le choc des cultures entre Blancs et Autochtones se transforme en un processus délicat d’échanges et de réconciliations.
«C’est un film d’été sous le soleil de minuit», résume Robert Lacerte, producteur, avec Bernadette Payeur, du troisième film de fiction de Benoît Pilon, après Décharge, résolument urbain. Le côté lumineux d’Iqaluit, capitale du Nunavut située à plus de 2000 kilomètres de Montréal, est assombri par l’agression d’un travailleur du Sud, Gilles (François Papineau), dans des circonstances troubles. Carmen (Marie-Josée Croze), sa conjointe, vole à son chevet, Montréalaise qui n’avait jamais mis les pieds dans ce lieu pour elle étrange, hostile. Aux côtés de Noah (Natar Ungalaaq), le meilleur ami de Gilles, s’enclenche une quête de vérité plus que du coupable.
Cette femme en perte de repères, c’est nous, reconnaît Benoît Pilon. Car il n’est pas là pour raconter les histoires propres aux Inuits, mais jeter des ponts, admettant l’absurdité d’être devant des cultures et des peuples de notre pays «que l’on ne connaît pas». « Iqaluit, c’est l’histoire d’une rencontre. Chez les Canadiens et les Québécois, il n’y a pas cet intérêt d’aller vers les peuples autochtones, et il fallait inscrire le récit dans la réalité: on va dans ces endroits seulement si nous y sommes forcés. Cette obligation amène des découvertes, des points communs.»
Pour Benoît Pilon, il s’agit aussi de retrouvailles, mais qui nécessitaient une logistique à toute épreuve. Cela n’effrayait pas Bernadette Payeur, qui avait également produit Ce qu’il faut pour vivre dans les mêmes contrées. « Devant les premières versions d’un scénario, ça peut arriver qu’on lise avec une calculatrice, reconnaît la productrice. Mais quand l’histoire est forte, ça vaut la peine, on se jette dans l’aventure… Parce que c’est une aventure!» De son côté, Robert Lacerte se veut plus pragmatique. « Tourner au Nunavut, ça apportait son lot d’incertitudes, dont le fait d’être dans un endroit uniquement accessible en bateau et en avion. Iqaluit est une ville moderne, mais qui ne possède pas toutes les installations pour le cinéma.»
L’éloignement ne déplaisait pas à François Papineau, amoureux de chasse, prêt à se rendre à la BaieJames pour assouvir sa passion, «mais jamais aussi loin qu’Iqaluit». Il faut le voir dans Papa à la chasse aux lagopèdes, de Robert Morin, pour savoir que l’acteur ne craint pas les grands froids. «Le tournage d’Iqaluit ressemblait à un tout-compris comparativement à celui de Papa…!» rigole celui que l’on peut voir en ce moment au théâtre chez Duceppe dans Ne m’oublie pas, de Tom Holloway.
Un regard humaniste
Son personnage n’accapare pas tout le film, mais son drame occupe tous les esprits, et cette idée le séduisait. «Sous des apparences réalistes, il y a un aspect tragédie grecque », souligne l’acteur, parlant même «d’une impression de documentaire» alors que le tout culmine vers un dénouement «tout à fait étonnant».
L’enquête policière, très peu pour Benoît Pilon, même si le personnage de Marie-Josée Croze recherche un coupable avec l’énergie du désespoir. C’est là qu’elle trouvera un guide qui n’en a jamais l’air, Noah, incarné par l’illustre Natar Ungalaaq, bien connu pour ses performances dans Atanarjuat et… Ce qu’il faut pour vivre, dans un rôle à sa mesure; malgré la distance, le réalisateur a maintenu un contact amical avec l’acteur. «À travers lui, Carmen va découvrir comment son mari a pris racine dans ce pays auquel elle ne s’était jamais intéressée.»
Les propos de Benoît Pilon témoignent aussi d’une connaissance profonde des Premières Nations, même s’il n’affiche jamais la posture de l’anthropologue. À l’image de ses documentaires (Rosaire et la PetiteNation, Roger Toupin, épicier variété), il opte pour l’humanisme : «C’est un film sur le deuil, mais pas seulement celui de l’acceptation de la mort de l’autre, mais de l’acceptation de la vie de l’autre avant sa mort.» Faut parfois aller loin, vers le nord, pour trouver ça… à l’intérieur de soi.
«Il n’y a pas cet intérêt d’aller vers les peuples autochtones, il fallait inscrire le récit dans la réalité: on va dans ces endroits seulement si nous y sommes forcés»