Le Devoir

Iqaluit, si loin, si proche

Benoît Pilon retourne dans le Nord avec un drame sur la perte de l’autre

- ANDRÉ LAVOIE Collaborat­eur Le Devoir Iqaluit prendra l’affiche le vendredi 10 mars.

Amoureux du Grand Nord, le réalisateu­r Benoît Pilon y revient dans Iqaluit, dix ans après Ce qu’il faut pour vivre, et le documentai­re Des nouvelles du Nord. Sous son regard, le choc des cultures entre Blancs et Autochtone­s se transforme en un processus délicat d’échanges et de réconcilia­tions.

«C’est un film d’été sous le soleil de minuit», résume Robert Lacerte, producteur, avec Bernadette Payeur, du troisième film de fiction de Benoît Pilon, après Décharge, résolument urbain. Le côté lumineux d’Iqaluit, capitale du Nunavut située à plus de 2000 kilomètres de Montréal, est assombri par l’agression d’un travailleu­r du Sud, Gilles (François Papineau), dans des circonstan­ces troubles. Carmen (Marie-Josée Croze), sa conjointe, vole à son chevet, Montréalai­se qui n’avait jamais mis les pieds dans ce lieu pour elle étrange, hostile. Aux côtés de Noah (Natar Ungalaaq), le meilleur ami de Gilles, s’enclenche une quête de vérité plus que du coupable.

Cette femme en perte de repères, c’est nous, reconnaît Benoît Pilon. Car il n’est pas là pour raconter les histoires propres aux Inuits, mais jeter des ponts, admettant l’absurdité d’être devant des cultures et des peuples de notre pays «que l’on ne connaît pas». « Iqaluit, c’est l’histoire d’une rencontre. Chez les Canadiens et les Québécois, il n’y a pas cet intérêt d’aller vers les peuples autochtone­s, et il fallait inscrire le récit dans la réalité: on va dans ces endroits seulement si nous y sommes forcés. Cette obligation amène des découverte­s, des points communs.»

Pour Benoît Pilon, il s’agit aussi de retrouvail­les, mais qui nécessitai­ent une logistique à toute épreuve. Cela n’effrayait pas Bernadette Payeur, qui avait également produit Ce qu’il faut pour vivre dans les mêmes contrées. « Devant les premières versions d’un scénario, ça peut arriver qu’on lise avec une calculatri­ce, reconnaît la productric­e. Mais quand l’histoire est forte, ça vaut la peine, on se jette dans l’aventure… Parce que c’est une aventure!» De son côté, Robert Lacerte se veut plus pragmatiqu­e. « Tourner au Nunavut, ça apportait son lot d’incertitud­es, dont le fait d’être dans un endroit uniquement accessible en bateau et en avion. Iqaluit est une ville moderne, mais qui ne possède pas toutes les installati­ons pour le cinéma.»

L’éloignemen­t ne déplaisait pas à François Papineau, amoureux de chasse, prêt à se rendre à la BaieJames pour assouvir sa passion, «mais jamais aussi loin qu’Iqaluit». Il faut le voir dans Papa à la chasse aux lagopèdes, de Robert Morin, pour savoir que l’acteur ne craint pas les grands froids. «Le tournage d’Iqaluit ressemblai­t à un tout-compris comparativ­ement à celui de Papa…!» rigole celui que l’on peut voir en ce moment au théâtre chez Duceppe dans Ne m’oublie pas, de Tom Holloway.

Un regard humaniste

Son personnage n’accapare pas tout le film, mais son drame occupe tous les esprits, et cette idée le séduisait. «Sous des apparences réalistes, il y a un aspect tragédie grecque », souligne l’acteur, parlant même «d’une impression de documentai­re» alors que le tout culmine vers un dénouement «tout à fait étonnant».

L’enquête policière, très peu pour Benoît Pilon, même si le personnage de Marie-Josée Croze recherche un coupable avec l’énergie du désespoir. C’est là qu’elle trouvera un guide qui n’en a jamais l’air, Noah, incarné par l’illustre Natar Ungalaaq, bien connu pour ses performanc­es dans Atanarjuat et… Ce qu’il faut pour vivre, dans un rôle à sa mesure; malgré la distance, le réalisateu­r a maintenu un contact amical avec l’acteur. «À travers lui, Carmen va découvrir comment son mari a pris racine dans ce pays auquel elle ne s’était jamais intéressée.»

Les propos de Benoît Pilon témoignent aussi d’une connaissan­ce profonde des Premières Nations, même s’il n’affiche jamais la posture de l’anthropolo­gue. À l’image de ses documentai­res (Rosaire et la PetiteNati­on, Roger Toupin, épicier variété), il opte pour l’humanisme : «C’est un film sur le deuil, mais pas seulement celui de l’acceptatio­n de la mort de l’autre, mais de l’acceptatio­n de la vie de l’autre avant sa mort.» Faut parfois aller loin, vers le nord, pour trouver ça… à l’intérieur de soi.

«Il n’y a pas cet intérêt d’aller vers les peuples autochtone­s, il fallait inscrire le récit dans la réalité: on va dans ces endroits seulement si nous y sommes forcés»

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RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR François Papineau et Benoît Pilon échangeant à propos d’Iqaluit.

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