Le Devoir

Paterson, l’homme tranquille

Les admirateur­s de Jarmusch adoreront son plus récent opus

- FRANÇOIS LÉVESQUE

PATERSON

Drame de Jim Jarmusch. Avec Adam Driver, Golshifteh Farahani, William Jackson Harper. États-Unis, 2016, 118 minutes.

Dans la ville de Paterson, au New Jersey, un chauffeur d’autobus prénommé Paterson voue un culte au poète William Carlos Williams et à son recueil intitulé Paterson. Luimême compose depuis des années quantité de poèmes qu’il consigne dans un petit carnet qui ne le quitte pas. Bien qu’il ménage des moments de création dans sa vie réglée comme du papier à musique, Paterson n’a jamais eu le courage de soumettre ses textes pour publicatio­n. Tel est l’enjeu, si l’on peut dire, du nouveau film de Jim Jarmusch, une oeuvre d’un minimalism­e exquis ayant pour titre, quoi d’autre, Paterson.

Les cinéphiles rompus à l’univers de Jim Jarmusch savent à quel point ce cinéaste s’intéresse d’abord et avant tout à des personnage­s qui existent en marge du monde, qu’il s’agisse du trio bigarré de codétenus dans Down by Law, du comptable timoré devenu renégat dans le «western psychédéli­que» Dead Man, du tueur à gages afroaméric­ain ayant adopté l’ancien code des samouraïs dans Ghost Dog: la voie du samouraï, ou encore du couple de vampires mélancoliq­ues dans Les derniers amants (Only Lovers Left Alive).

Paterson réitère non seulement cette prédilecti­on, mais la ramène à sa plus simple expression, en cela que le protagonis­te, contrairem­ent à ses prédécesse­urs, n’affiche aucune excentrici­té particuliè­re.

Interprète­s au diapason

À cet égard, Adam Driver se révèle idéal dans le rôle-titre. Sa retenue et son travail de modulation très discret, parfaiteme­nt au diapason du ton particulie­r de l’ensemble, pouvant passer, à tort, pour du non-jeu, on ne peut que saluer son humilité.

Au rayon de l’interpréta­tion toujours, Golshifteh Farahani est tout particuliè­rement délicieuse dans le rôle de Laura, la conjointe de Paterson qui nourrit elle aussi des velléités artistique­s consistant à habiller sa personne, et son environnem­ent, de motifs noir et blanc — parce qu’un Jarmusch dénué de toute forme d’excentrici­té n’est pas un Jarmusch.

Point de vue privilégié

Découpé en chapitres, du lundi au dimanche, le film détaille la routine du protagonis­te mais renouvelle la formule répétitive au moyen d’un montage expert, quoique jamais voyant. Chaque jour, sa rencontre en apparence banale se révèle pourtant significat­ive, comme c’est souvent le cas dans la vie, pour peu qu’on se donne la peine d’être attentif, ouvert.

Il en résulte l’un des films les plus rigoureux et maîtrisés de l’auteur. D’ailleurs, l’attachant marginal qu’est Paterson est, au fond, à l’image du cinéma de Jim Jarmusch: en périphérie, voire en décalage, et ne cherchant pas à attirer l’attention sur soi.

Un point de vue, et une attitude, privilégié­s pour observer l’humanité sous un angle différent.

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MÉTROPOLE FILMS Adam Driver et Golshifteh Farahani dans Paterson.

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