Paterson, l’homme tranquille
Les admirateurs de Jarmusch adoreront son plus récent opus
PATERSON
Drame de Jim Jarmusch. Avec Adam Driver, Golshifteh Farahani, William Jackson Harper. États-Unis, 2016, 118 minutes.
Dans la ville de Paterson, au New Jersey, un chauffeur d’autobus prénommé Paterson voue un culte au poète William Carlos Williams et à son recueil intitulé Paterson. Luimême compose depuis des années quantité de poèmes qu’il consigne dans un petit carnet qui ne le quitte pas. Bien qu’il ménage des moments de création dans sa vie réglée comme du papier à musique, Paterson n’a jamais eu le courage de soumettre ses textes pour publication. Tel est l’enjeu, si l’on peut dire, du nouveau film de Jim Jarmusch, une oeuvre d’un minimalisme exquis ayant pour titre, quoi d’autre, Paterson.
Les cinéphiles rompus à l’univers de Jim Jarmusch savent à quel point ce cinéaste s’intéresse d’abord et avant tout à des personnages qui existent en marge du monde, qu’il s’agisse du trio bigarré de codétenus dans Down by Law, du comptable timoré devenu renégat dans le «western psychédélique» Dead Man, du tueur à gages afroaméricain ayant adopté l’ancien code des samouraïs dans Ghost Dog: la voie du samouraï, ou encore du couple de vampires mélancoliques dans Les derniers amants (Only Lovers Left Alive).
Paterson réitère non seulement cette prédilection, mais la ramène à sa plus simple expression, en cela que le protagoniste, contrairement à ses prédécesseurs, n’affiche aucune excentricité particulière.
Interprètes au diapason
À cet égard, Adam Driver se révèle idéal dans le rôle-titre. Sa retenue et son travail de modulation très discret, parfaitement au diapason du ton particulier de l’ensemble, pouvant passer, à tort, pour du non-jeu, on ne peut que saluer son humilité.
Au rayon de l’interprétation toujours, Golshifteh Farahani est tout particulièrement délicieuse dans le rôle de Laura, la conjointe de Paterson qui nourrit elle aussi des velléités artistiques consistant à habiller sa personne, et son environnement, de motifs noir et blanc — parce qu’un Jarmusch dénué de toute forme d’excentricité n’est pas un Jarmusch.
Point de vue privilégié
Découpé en chapitres, du lundi au dimanche, le film détaille la routine du protagoniste mais renouvelle la formule répétitive au moyen d’un montage expert, quoique jamais voyant. Chaque jour, sa rencontre en apparence banale se révèle pourtant significative, comme c’est souvent le cas dans la vie, pour peu qu’on se donne la peine d’être attentif, ouvert.
Il en résulte l’un des films les plus rigoureux et maîtrisés de l’auteur. D’ailleurs, l’attachant marginal qu’est Paterson est, au fond, à l’image du cinéma de Jim Jarmusch: en périphérie, voire en décalage, et ne cherchant pas à attirer l’attention sur soi.
Un point de vue, et une attitude, privilégiés pour observer l’humanité sous un angle différent.