Dans les méandres des idées mortifères
Marie-Claire Blais s’invite dans la tête d’un suprématisme blanc
Il a ouvert le feu sur les croyants réunis dans une église méthodiste noire. Entre seize et vingt morts. Ses parents avaient pourtant milité pour les droits civiques. Au coeur de la prison où ce suprémaciste blanc attend sa sentence, un aumônier lui tend la main. Il est noir. «Vous me dégoûtez», lui lancera le jeune meurtrier, sans remords, toujours drapé dans sa haine de l’autre. La réponse de l’homme de foi? «C’est de vous-même que vous êtes dégoûté. » Et si, par dégoût d’elle-même, l’humanité ne savait plus que se réfugier dans la violence ?
Neuvième tome du cycle Soifs amorcé en 1995, Des chants pour Angel révèle à nouveau Marie-Claire Blais en observatrice inquiète d’un pays — les États-Unis — où se tailler une place au soleil, pour les marginaux, tient de plus en plus de l’utopie. Le stress posttraumatique qui transforme les vétérans de la guerre en bêtes hagardes, les législations interdisant aux personnes transgenres l’accès aux toilettes de leur choix, la crise des réfugiés, le péril environnemental et les irruptions de folie nourrie par la légitimation du discours d’extrême droite: tout y passe, comme dans un journal entre les pages duquel aurait été réuni le pire des mauvaises nouvelles de l’année.
Animée par l’espoir que la littérature permette de mieux comprendre le mal, l’écrivaine plonge dans les tortueux méandres de la pensée d’un garçon au cerveau javellisé par le Ku Klux Klan et par un Web où circulent les idées mortifères. Son profil rappelle forcément celui de Dylann Roof, jeune Américain de 22 ans qui, en juin 2015, tuait neuf personnes dans une église de Charleston. L’actualité québécoise, d’habitude si paisible, y trouve aussi de douloureux échos.
Est-il trop tard?
Qu’une seule majuscule à la page 11 (la première), qu’un seul point à la page 236 (la dernière). Avec ce style logorrhéique qu’elle préconise depuis le début de son monumental cycle romanesque, l’auteure de La belle bête passe sans cesse du point de vue d’un personnage à l’autre, sans avertissement. « Cette façon absolument unique qu’a MarieClaire Blais de marier l’exigence artistique la plus haute avec les préoccupations les plus immédiates de notre temps », pour paraphraser le communiqué de presse accompagnant Des chants pour Angel, exige beaucoup du lecteur, parfois désorienté, qui se mesurera à ce flot de mots.
La légendaire écrivaine continue donc de s’adresser aux exégètes. Aux questions sur la pertinence de la littérature en temps troubles qui hantent Daniel, son personnage d’écrivain, la Québécoise installée à Key West offre une réponse sans équivoque, qui ne pointe surtout pas dans la direction d’un roman ambitionnant de nourrir les réflexions d’un plus vaste public.
Malgré la noirceur qui couvre actuellement le paysage politique américain, MarieClaire Blais s’acharne à trouver, dans l’hésitation d’un tueur face à sa victime, l’espoir que les esprits fragiles subliment un jour leur détresse en solidarité. « […] N’avait-il pas presque cédé au sourire de la pasteure Anna, renoncé au dernier instant à toute l’envie de ses crimes parce qu’elle lui souriait en lui disant, il n’est pas trop tard, retournez chez vos parents, car il n’est jamais trop tard pour la miséricorde de Dieu […] n’avait-il pas éprouvé au dernier instant un recul devant le mal à accomplir ». Il en faut de la foi et du courage, à celle qui souhaite croire qu’il n’est pas trop tard pour ce monde.