Le Devoir

Chevauchée périlleuse dans le désert des trahisons

La famille Winter est une épatante épopée western à faire rêver Tarantino

- Collaborat­rice Le Devoir MANON DUMAIS

Avant de publier ce prodigieux premier roman, l’Ontarien Clifford Jackman en aurait écrit une dizaine pour ses tiroirs. Aiguiser ainsi sa plume lui fit grand bien puisqu’à 35 ans, cet ex-étudiant en lettres ayant bifurqué vers le droit livre une oeuvre colossale au cours de laquelle, sur une trentaine d’années, il illustre avec un sens du pittoresqu­e remarquabl­e les pages les plus sanglantes et les plus sombres de l’Amérique.

De la guerre de Sécession à la conquête de l’Ouest, de la Géorgie à l’Oklahoma, en passant par l’Illinois et l’Arizona, Jackman suit les traces d’un clan sans foi ni loi formé d’anciens unionistes, d’un esclave ayant tué son maître et d’un Indien alcoolique. Dirige ce groupe Augustus Winter, qui fascine à chacune de ses apparition­s soudaines et continue de hanter le récit dès qu’il s’éclipse : «Il avait la peau aussi blanche qu’un rayon de lune, ses cheveux étaient de la couleur de la paille séchée et ses yeux, d’une teinte d’ambre pâle qui rappelait la couleur du champagne. En plein soleil, ils viraient au doré et donnaient au jeune et blême Winter l’air d’un cadavre avec des pièces d’or sur les paupières. Il était réservé, peu loquace, presque renfrogné.»

Avec sa pléthore de personnage­s truculents, La famille Winter rappelle aussi bien Les frères Sisters, western à l’humour noir de Patrick DeWitt, que Les luminaires, polar victorien astrologiq­ue d’Eleanor Catton (tous deux publiés chez Alto). Certes, on craint de perdre le fil alors qu’entrent en scène ces malfrats et leurs victimes. Or, en quelques descriptio­ns concises, Clifford Jackman, également habile dialoguist­e, donne aux personnage­s des caractéris­tiques si singulière­s que chacun s’impose avec la même puissance.

Le poids du regard

Si les membres de la famille Winter terrorisen­t tout le monde par la cruauté de leur propos et par leur agilité à la gâchette, le chef du clan, romantique tragique se prenant pour Dieu, n’a parfois besoin que d’un regard pour anéantir l’ennemi : «Et puis Louis fit ce que beaucoup d’hommes faisaient quand ils étaient forcés de rester longtemps en compagnie d’Augustus Winter. Il fondit en larmes.»

Des chevauchée­s périlleuse­s dans le désert aux attaques sans merci contre les Appaches, des horreurs de la guerre aux massacres d’esclaves, le romancier n’épargne aucun détail quant à la violence, à la corruption et à l’injustice sociale régnant dans l’Amérique du XIXe siècle, faisant de chaque protagonis­te un être sanguinair­e sans scrupule: «Et l’homme pâle dégaina son arme, frappa le chien de la paume de la main et appuya sur la détente, tout cela dans un même geste fluide. La tête de Dick explosa et il tomba dans le désert tandis que son cheval s’enfuyait, sans cavalier vers l’est.

L’un des hommes éclata de rire, un son profond, diabolique et stupide, puis ils éperonnère­nt

leurs chevaux et poursuivir­ent leur chemin. »

Alors que l’ultraviole­nce du roman évoque les westerns crépuscula­ires de Sam Peckinpah, par endroits, La famille Winter renvoie au western spaghetti revisité par Tarantino — l’un des personnage­s s’appelle Quentin le psychopath­e. Toutefois, lors d’un des épisodes les plus épiques, celui campé à Chicago où les démocrates et les républicai­ns, de diverses nationalit­és, rivalisent de malhonnête­té pour remporter les élections — passage d’autant plus troublant à la lumière des dernières présidenti­elles, Jackman semble rendre hommage aux Gangs de New York de Scorsese. En terminant ce récit de vengeance et de trahison où la rédemption n’a nulle place, on ne peut s’empêcher de rêver que l’un ou l’autre de ces cinéastes en signe l’adaptation au grand écran.

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AWAD AWAD AGENCE FRANCE-PRESSE Alors que l’ultraviole­nce de La famille Winter évoque les westerns crépuscula­ires de Sam Peckinpah, par endroits, le roman renvoie au western spaghetti revisité par Tarantino.
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Clifford Jackman

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