À double sens sur la spirale de la violence
Un roman, Sans Véronique, et un essai, Terreur, sondent l’ignominie de ce terrorisme qui ronge l’humanité de l’intérieur
Le premier est écrit comme un souffle, un long souffle de vie pour évoquer le vide laissé par la mort. Le deuxième est un ensemble de tirs saccadés, récit à la mitraillette qui prend pour cible ces jeunes radicalisés comblant leur profonde vacuité et leur échec personnel avec les vies qu’ils arrachent en pleine rue.
Hasard des résonances dans un hiver littéraire: Arthur Dreyfus et Yann Moix sondent à leur manière l’ignominie de ce terrorisme ordinaire qui s’est imposé dans le quotidien de l’Occident et qui ronge désormais notre humanité de l’intérieur.
«Nous passons des journées entières à réchapper d’attentats; ce que nous appelons vivre consiste désormais à sortir indemnes de hasards auxquels nous avons échappé», écrit Yann Moix dans Terreur (Grasset), assemblage de «notes» prises par l’auteur au jour le jour dans la foulée des grands attentats qui ont rythmé l’actualité française, de l’attaque des bureaux de Charlie Hebdo en janvier 2015 au massacre du 14 juillet 2016 à Nice, en passant par les attentats de novembre 2015. «Être vivant, c’est être rescapé. La mort n’est plus ce qui opère une trouée dans la vie; la vie est ce qui opère une trouée dans la mort.»
L’angoisse de la soustraction fortuite. Voilà tout le destin qu’Arthur Dreyfus impose à Bernard, plombier ordinaire de la France du milieu, dans son Sans Véronique. Le titre nomme l’absence, celle de sa femme, caissière dans un supermarché, qui vient de se faire offrir des vacances en Tunisie par son patron. La solitude de l’homme ne doit durer que huit jours. Le coup de fil d’un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, lui annonçant la mort de sa femme dans un attentat perpétré sur la plage de la station balnéaire de Sousse, va faire entrer cette distance dans l’éternité.
«Rien ne pouvait être confirmé, les pensées se figeaient, lourdes comme du béton, on faisait le compte du possible et de l’impossible, le ministère des Affaires étrangères n’appelait pas les gens par hasard, et cette gravité, et le second prénom de Véronique; sur les joues de Bernard, le long de son gros nez, à l’angle des narines, se sont accumulées des larmes qui glissaient sans volonté, sans même l’idée de pleurer… »
Il y a un petit quelque chose de Saramago — José de son prénom — dans le style singulier d’Arthur Dreyfus qui, dans le chaos de ses phrases multipliant la virgule erratique et la fusion du direct et de l’indirect, suit les trajectoires de ces vies bouleversées par l’absurde et la violence du hasard. Bernard et Véronique y côtoient Seifeddine, jeune Tunisien tombé amoureux d’une jeune Belge, mais qui, malgré une éducation solide et des projets d’avenir, va s’imposer la mort, va l’imposer à d’autres, pour ne plus avoir à réussir sa vie, pour paraphraser Yann Moix.
«Les terroristes cherchent des responsables à leurs échecs », écrit-il dans ce récit inconstant où la fulgurance de plusieurs réflexions s’accompagne d’une certaine redite et d’une circularité de sa pensée sur l’anatomie de la terreur et sur la difficulté de s’en soustraire. « L’attentat est la réussite parfaite de l’échec. Il en est le sommet, l’acmé, l’apogée, le chef-d’oeuvre. »
Le roman d’Arthur Dreyfus tient sa grande force dans une mise en parallèle habile des dérives induites par le terrorisme et la profonde fragilité de ses fondements. Avec une voix forte, il expose aussi cette menace sournoise de la transmission du mal, y compris chez certaines de ses victimes.
Et c’est bien là le problème, car pour le jeune romancier, tout comme pour Yann Moix d’ailleurs, la terreur puise son principal carburant dans sa capacité inquiétante de contamination, de colonisation des esprits et des imaginaires. «À mesure qu’il perd du territoire, l’État islamique gagne des cerveaux, écrit Yann Moix. Pays de plus en plus imaginaire dans la réalité, il devient de plus en plus réel dans l’imagination», ce nouveau territoire à investir, à en croire ces deux écrivains, pour empêcher aussi la terreur, la peur, la négation de l’autre d’y proliférer.