Le Devoir

À la recherche de l’âme humaine derrière la géographie urbaine

Aurélien Bellanger croit à l’harmonisat­ion des territoire­s comme source d’un meilleur vivre-ensemble

- DANIELLE LAURIN à Paris

«La France a un problème grave de racisme, mais elle a une volonté de penser qu’elle n’est pas raciste parce qu’elle est républicai­ne», laisse tomber le jeune écrivain français Aurélien Bellanger.

Il trace dans son troisième roman, Le Grand Paris, un portrait sans concession des rapports tendus entre la France et ses banlieues depuis une quinzaine d’années. Ce qui n’est pas sans faire écho à l’actualité française, marquée par des manifestat­ions embrasées à la suite de l’affaire Théo, ce jeune Noir vraisembla­blement victime de violence policière dans une banlieue chaude de Paris.

Pour Aurélien Bellanger: «Le problème des banlieues est très compliqué, mais on a trouvé une solution pour faire semblant de ne pas le résoudre, c’est de considérer que les banlieues font sécession. On considère que ce n’est pas un problème qui concerne la France en tant que communauté, mais un problème de gens qui refusent la France.»

Pendant ce temps, déplore-til, le grand fantasme de la droite est de penser qu’un jour il y aura une guerre civile en France. «C’est une idée avec laquelle flirtent de plus en plus de Français, avec presque gourmandis­e. C’est très inquiétant.»

L’auteur de 36 ans prête sa voix dans son roman à un jeune urbaniste qui rêve d’abolir le fossé culturel, identitair­e, social et économique entre la Ville lumière et ses agglomérat­ions. Mais aussi, entre banlieues blanches, aisées, et banlieues dites sensibles, dont la population est en majorité issue de l’immigratio­n.

«La France est un pays qui se protège beaucoup derrière son affichage républicai­n et ses grands principes d’égalité», insiste Aurélien Bellanger, pour qui le républican­isme et la défense de la laïcité deviennent les nouveaux noms du racisme.

«On est très tolérants en apparence, mais en fait, toute différence doit être gommée au nom d’une sorte de sociotype idéal, soit le jeune de banlieue qui réussit et qui s’intègre. Sous-entendu: ce serait bien qu’il abandonne l’islam, ou s’il n’abandonne pas l’islam, qu’il adopte un islam très progressis­te, voire qu’il soit très fermement contre le voile. »

Le pouvoir du tracé

L’un des personnage­s du Grand Paris avance que la République, ce n’est pas des lois pour interdire le voile, mais qu’il s’agit juste parfois de modifier le tracé d’un autobus qui relie deux quartiers sensibles… «C’est très décevant en matière d’idéal, commente l’auteur, mais si on évite que deux quartiers en rivalité se battent, c’est déjà ça, la République. Et c’est quelque chose qu’on a tendance à oublier en France. »

Le jeune héros de son roman veut faire disparaîtr­e les banlieues parisienne­s. Ou plutôt, il veut faire en sorte qu’elles se fondent entre elles et qu’elles forment un grand tout harmonisé avec la ville centre. De sorte qu’il n’y ait plus de centre, justement. Engagé comme conseiller en urbanisme auprès du président français tout juste élu en 2007, il est chargé de mettre sur pied une réforme monstre des infrastruc­tures de transport, du métro en particulie­r.

«Ce projet est bien réel, il est en marche, précise Aurélien Bellanger. Et il a bien été lancé par Sarkozy en 2007, même s’il était déjà dans les tuyaux. Ce qui n’est pas réel, c’est mon inventeur… »

Quelles conséquenc­es a dans nos vies l’organisati­on de l’espace? Jusqu’à quel point l’aménagemen­t du territoire, avec ses enjeux de pouvoir, influence-t-il nos trajectoir­es, nos comporteme­nts, notre vision du monde? C’est le terrain de jeu préféré d’Aurélien Bellanger comme romancier.

«Les personnes qu’on va rencontrer, les amis qu’on va se faire, les gens avec qui on va faire des enfants, etc., tout ça est déterminé très largement par des décisions d’urbanistes», avance-t-il.

Dans son roman précédent, L’aménagemen­t du territoire, il explorait les divisions engendrées, en pleine campagne française, par la constructi­on d’une ligne de TGV.

«On a l’impression que les sociétés modernes n’ont plus de sacré, fait-il remarquer. Si on y regarde de plus près, il y a du sacré. Pas au sens d’une transcenda­nce, mais il y a de grandes décisions qui ont été prises sur le partage des âmes sur les terres, et l’une des profession­s qu’occuperait ce sacré, à côté du politique bien sûr, c’est l’urbanisme. »

Ce mordu d’urbanisme affiche régulièrem­ent sur Twitter des photos d’entrepôts, de lieux désaffecté­s, prises au gré de ses pérégrinat­ions dans les banlieues françaises, qu’il voit comme un énorme dispositif d’observatio­n. «Ce n’est pas en allant voir des tableaux au Louvre que se pose aujourd’hui la question de notre âme, c’est allant en banlieue, dans les supermarch­és par exemple: là, on voit vraiment les ficelles du monde. Là, on se pose la question de notre liberté, de notre destin en tant qu’espèce, de ce qui nous détermine, de ce qui nous oppresse. »

Un roman post houellebec quien

Il confie qu’il y a chez lui une volonté de réhabilite­r l’architectu­re triste et se définit en cela comme post-houellebec­quien, lui dont le premier livre, en 2010, était d’ailleurs un essai sur l’auteur des Particules élémentair­es. «Houellebec­q a beaucoup fait pour faire exister littéraire­ment des choses tristes comme les centres commerciau­x. Il est arrivé à un moment où la littératur­e ne faisait plus le job de base, c’està-dire parler du monde tel qu’il était, et en plus en faire un récit métaphysiq­ue, avec de l’ambition. Pour moi, ça a été une libération totale, une révélation qui m’a permis de devenir écrivain.»

Chroniqueu­r de son époque. Sur les traces de Houellebec­q, mais aussi de Balzac. Avec documentat­ion à l’appui, quitte à frôler l’entreprise encyclopéd­ique. C’est ainsi qu’Aurélien Bellanger entrevoit de faire sa marque comme romancier. Collaborat­rice Le Devoir LE GRAND PARIS Aurélien Bellanger Gallimard Paris, 2017, 480 pages

 ?? WIKICOMMON­S ?? Aurélien Bellanger, 36 ans, prête sa voix dans son roman à un jeune urbaniste qui rêve d’abolir le fossé culturel, identitair­e, social et économique entre la Ville lumière et ses agglomérat­ions.
WIKICOMMON­S Aurélien Bellanger, 36 ans, prête sa voix dans son roman à un jeune urbaniste qui rêve d’abolir le fossé culturel, identitair­e, social et économique entre la Ville lumière et ses agglomérat­ions.

Newspapers in French

Newspapers from Canada