À la recherche de l’âme humaine derrière la géographie urbaine
Aurélien Bellanger croit à l’harmonisation des territoires comme source d’un meilleur vivre-ensemble
«La France a un problème grave de racisme, mais elle a une volonté de penser qu’elle n’est pas raciste parce qu’elle est républicaine», laisse tomber le jeune écrivain français Aurélien Bellanger.
Il trace dans son troisième roman, Le Grand Paris, un portrait sans concession des rapports tendus entre la France et ses banlieues depuis une quinzaine d’années. Ce qui n’est pas sans faire écho à l’actualité française, marquée par des manifestations embrasées à la suite de l’affaire Théo, ce jeune Noir vraisemblablement victime de violence policière dans une banlieue chaude de Paris.
Pour Aurélien Bellanger: «Le problème des banlieues est très compliqué, mais on a trouvé une solution pour faire semblant de ne pas le résoudre, c’est de considérer que les banlieues font sécession. On considère que ce n’est pas un problème qui concerne la France en tant que communauté, mais un problème de gens qui refusent la France.»
Pendant ce temps, déplore-til, le grand fantasme de la droite est de penser qu’un jour il y aura une guerre civile en France. «C’est une idée avec laquelle flirtent de plus en plus de Français, avec presque gourmandise. C’est très inquiétant.»
L’auteur de 36 ans prête sa voix dans son roman à un jeune urbaniste qui rêve d’abolir le fossé culturel, identitaire, social et économique entre la Ville lumière et ses agglomérations. Mais aussi, entre banlieues blanches, aisées, et banlieues dites sensibles, dont la population est en majorité issue de l’immigration.
«La France est un pays qui se protège beaucoup derrière son affichage républicain et ses grands principes d’égalité», insiste Aurélien Bellanger, pour qui le républicanisme et la défense de la laïcité deviennent les nouveaux noms du racisme.
«On est très tolérants en apparence, mais en fait, toute différence doit être gommée au nom d’une sorte de sociotype idéal, soit le jeune de banlieue qui réussit et qui s’intègre. Sous-entendu: ce serait bien qu’il abandonne l’islam, ou s’il n’abandonne pas l’islam, qu’il adopte un islam très progressiste, voire qu’il soit très fermement contre le voile. »
Le pouvoir du tracé
L’un des personnages du Grand Paris avance que la République, ce n’est pas des lois pour interdire le voile, mais qu’il s’agit juste parfois de modifier le tracé d’un autobus qui relie deux quartiers sensibles… «C’est très décevant en matière d’idéal, commente l’auteur, mais si on évite que deux quartiers en rivalité se battent, c’est déjà ça, la République. Et c’est quelque chose qu’on a tendance à oublier en France. »
Le jeune héros de son roman veut faire disparaître les banlieues parisiennes. Ou plutôt, il veut faire en sorte qu’elles se fondent entre elles et qu’elles forment un grand tout harmonisé avec la ville centre. De sorte qu’il n’y ait plus de centre, justement. Engagé comme conseiller en urbanisme auprès du président français tout juste élu en 2007, il est chargé de mettre sur pied une réforme monstre des infrastructures de transport, du métro en particulier.
«Ce projet est bien réel, il est en marche, précise Aurélien Bellanger. Et il a bien été lancé par Sarkozy en 2007, même s’il était déjà dans les tuyaux. Ce qui n’est pas réel, c’est mon inventeur… »
Quelles conséquences a dans nos vies l’organisation de l’espace? Jusqu’à quel point l’aménagement du territoire, avec ses enjeux de pouvoir, influence-t-il nos trajectoires, nos comportements, notre vision du monde? C’est le terrain de jeu préféré d’Aurélien Bellanger comme romancier.
«Les personnes qu’on va rencontrer, les amis qu’on va se faire, les gens avec qui on va faire des enfants, etc., tout ça est déterminé très largement par des décisions d’urbanistes», avance-t-il.
Dans son roman précédent, L’aménagement du territoire, il explorait les divisions engendrées, en pleine campagne française, par la construction d’une ligne de TGV.
«On a l’impression que les sociétés modernes n’ont plus de sacré, fait-il remarquer. Si on y regarde de plus près, il y a du sacré. Pas au sens d’une transcendance, mais il y a de grandes décisions qui ont été prises sur le partage des âmes sur les terres, et l’une des professions qu’occuperait ce sacré, à côté du politique bien sûr, c’est l’urbanisme. »
Ce mordu d’urbanisme affiche régulièrement sur Twitter des photos d’entrepôts, de lieux désaffectés, prises au gré de ses pérégrinations dans les banlieues françaises, qu’il voit comme un énorme dispositif d’observation. «Ce n’est pas en allant voir des tableaux au Louvre que se pose aujourd’hui la question de notre âme, c’est allant en banlieue, dans les supermarchés par exemple: là, on voit vraiment les ficelles du monde. Là, on se pose la question de notre liberté, de notre destin en tant qu’espèce, de ce qui nous détermine, de ce qui nous oppresse. »
Un roman post houellebec quien
Il confie qu’il y a chez lui une volonté de réhabiliter l’architecture triste et se définit en cela comme post-houellebecquien, lui dont le premier livre, en 2010, était d’ailleurs un essai sur l’auteur des Particules élémentaires. «Houellebecq a beaucoup fait pour faire exister littérairement des choses tristes comme les centres commerciaux. Il est arrivé à un moment où la littérature ne faisait plus le job de base, c’està-dire parler du monde tel qu’il était, et en plus en faire un récit métaphysique, avec de l’ambition. Pour moi, ça a été une libération totale, une révélation qui m’a permis de devenir écrivain.»
Chroniqueur de son époque. Sur les traces de Houellebecq, mais aussi de Balzac. Avec documentation à l’appui, quitte à frôler l’entreprise encyclopédique. C’est ainsi qu’Aurélien Bellanger entrevoit de faire sa marque comme romancier. Collaboratrice Le Devoir LE GRAND PARIS Aurélien Bellanger Gallimard Paris, 2017, 480 pages