Le Devoir

Trois questions à deux hommes

Dans un essai épistolair­e, Simon Boulerice et Alain Labonté échangent sur l’homosexual­ité et sa condition

- PROPOS RECUEILLIS PAR FABIEN DEGLISE

Àl’automne 2015, le poète, comédien et metteur en scène Simon Boulerice et l’attaché de presse Alain Labonté ont décidé de se parler, dans le temps long de l’échange épistolair­e, pour réfléchir ensemble sur les avancées des droits des homosexuel­s ici et sur les horreurs auxquelles cette minorité fait encore face aujourd’hui ailleurs dans le monde. La correspond­ance, intimiste et sensible, aurait pu rester entre eux. Il est devenu un livre, Moi aussi j’aime les hommes (Stanké), posé dans cette rentrée littéraire comme un appel à la tolérance. Deux voix en trois questions. Le Québec a fait des avancées considérab­les en matière de tolérance. De l’extérieur, cela donne l’impression que l’homosexual­ité, sa condition humaine, sa condition légale, son statut social, sont aujourd’hui entrés dans une certaine normalité. Est-ce vraiment le cas?

Alain Labonté : Il y a de très belles avancées et l’ouverture de notre premier ministre Justin Trudeau, qui appuie et épouse la cause des communauté­s lesbienne, gaie, bisexuelle, transgenre, queer (LGBTQ), donne une image positive qui nous réjouit de vivre dans un pays accueillan­t. Mais nous sommes loin d’une certaine normalité. L’intimidati­on est toujours un thème présent.

Simon Boulerice: L’homophobie est sournoise. Oui, les cas de violence notoire sont en baisse, des politicien­s ouvertemen­t gais se font élire pour leurs compétence­s et des acteurs récompensé­s dans des galas remercient leur conjoint de même sexe, mais l’hétérosexi­sme pernicieux perdure: quand deux femmes ou deux hommes s’embrassent, et ce, même à la télé, il y a souvent des

malaises. Mais j’ai confiance qu’ici, au Québec, nous sommes sur la bonne voie. Est-il donc trop tôt pour affirmer que l’homophobie au Québec, au Canada, est une chose en voie de disparitio­n ou à tout le moins sur le point de le devenir?

Alain Labonté : J’aimerais pouvoir le dire, mais rien n’est jamais acquis. Je regarde le bordel que Trump fout aux États-Unis: c’est un bel exemple de régression. Pourtant, tout était si inspirant depuis quelques années. Il suffit qu’un maillon d’une chaîne éclate pour arrêter un mouvement en marche et nous ramener 5 ans, 10 ans, 20 ans en arrière.

Simon Boulerice: Le Québec a beau ne pas être raciste, il y a du racisme. Il en va de même pour l’homophobie. Mais la nouvelle génération — ultraconsc­ientisée — me rassure. Le chemin parcouru est beau à voir. J’étais à Baie-Comeau la semaine passée où j’ai parlé dans une école d’une ado transgenre assassinée en 2008 après avoir déclaré son amour à un garçon, en pleine cour de récré. Tous étaient choqués par cette haine. Peu étonnant: l’année dernière, un trans était dans leur école. Reste que l’homophobie et la transphobi­e persistent sur les réseaux sociaux. Légiférer et condamner cette violence virtuelle, qu’elle soit raciste, misogyne ou homophobe, c’est nécessaire. Quel chemin reste-t-il à parcourir pour parler d’une réelle acceptatio­n de l’homosexual­ité, d’une banalisati­on de l’homosexual­ité au même titre que l’hétérosexu­alité?

Alain Labonté: Il faut offrir de l’inspiratio­n aux jeunes. Tant de choses s’inscrivent dans notre jeunesse et nous hantent jusqu’à la fin de nos jours. Ces jeunes sont en quête de modèleset il faut leur en offrir qui sont réellement dans l’accueil de l’autre.

Simon Boulerice: Il y a encore des écoles qui hésitent à recevoir les membres — bénévoles! — du Groupe de recherche et d’interventi­ons sociales (GRIS), ces gens qui se déplacent pour parler de leur parcours de vie et répondre, sans avoir recours à la langue de bois, à toutes les questions qui turlupinen­t les adolescent­s. Leur travail est précieux pour démystifie­r l’homosexual­ité. On le sait, la proximité avec une personne gaie contribue à banaliser son orientatio­n. Le Devoir MOI AUSSI J’AIME LES HOMMES Simon Boulerice et Alain Labonté Stanké Montréal, 2017, 182 pages

 ?? ADAM BERRY AGENCE FRANCE-PRESSE ?? «L’hétérosexi­sme pernicieux perdure, croit Simon Boulerice. Quand deux femmes ou deux hommes s’embrassent, et ce, même à la télé, il y a souvent des malaises.»
ADAM BERRY AGENCE FRANCE-PRESSE «L’hétérosexi­sme pernicieux perdure, croit Simon Boulerice. Quand deux femmes ou deux hommes s’embrassent, et ce, même à la télé, il y a souvent des malaises.»

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