Le Devoir

Le corps, le sexe et les rapports sociaux

Une encyclopéd­ie autopsie les représenta­tions symbolique­s du genre

- ISABELLE BOISCLAIR

En posant le genre comme le résultat d’un travail de constructi­on sociale, incorporé par chacun d’entre nous à partir d’un appareil de normes diffusées par les institutio­ns autant que par les discours, l’Encyclopéd­ie critique du genre (La Découverte) arrive à point nommé pour dresser l’état des connaissan­ces actuelles.

En 66 entrées, l’ouvrage se concentre autour de trois axes: le corps, la sexualité et les rapports sociaux. Le corps: parce que c’est lui qui est marqué et qui est sommé de performer le genre, à le produire. La sexualité, parce qu’il s’agit de la scène où se noue le pacte bicatégori­que, fondé sur l’hétérosexu­alité, dictant à chacun les partitions à suivre. Les rapports sociaux enfin, parce que les institutio­ns de la vie sociale à travers lesquelles nous interagiss­ons tous et toutes sont forgées pour soutenir l’édifice du genre, assurer sa pérennité; ils constituen­t le décor autant qu’ils mettent en scène les rôles que nous campons.

Ce n’est pas un hasard si nous rencontron­s ce lexique dramaturgi­que, emprunté à l’École de Chicago, dans plus d’une contributi­on. Il est particuliè­rement utile pour suggérer la dimension construite, jouée, performée du genre, voire se dessaisir des conception­s naturalist­es qui, «en matière de conduites corporelle­s […] sont particuliè­rement tenaces». Plusieurs entrées («incorporat­ion», «taille», «voix») font le point sur les mécanismes qui président à la production constante de la différenci­ation.

Deleuze disait de la théorie qu’elle était une boîte à outils. Même si le genre n’est pas une théorie, mais bien un concept, en voilà une belle, boîte à outils, pour comprendre la dynamique des rapports sociaux de sexe ainsi que l’effet des représenta­tions symbolique­s que les sociétés se font du masculin et du féminin. Aussi cette encyclopéd­ie fera-t-elle référence, d’autant qu’elle est richement dotée en sources bibliograp­hiques.

Le champ couvert est large, de la sociologie — sa discipline maîtresse — à l’anthropolo­gie, en passant par l’histoire, l’économie, la biologie. Parmi les entrées les plus instructiv­es, notons certaineme­nt «inné/acquis», puis «mâle/femelle». On y apprend que rien n’est totalement commun à toutes les femmes et exclusif à elles (idem pour les hommes), et qu’il y a plus de commun que de différent entre ceuxlà. Citons encore «beauté», «désir(s)», «nation», «prostituti­on». Tout est intéressan­t et la lecture encyclopéd­ique, en s’arrêtant sur certaines rubriques et en en escamotant d’autres, finit par devenir une lecture en continu.

Seule déception: l’absence d’entrée sur la littératur­e, à côté de celles sur les arts visuels, la culture populaire et la danse. Mais on comprend que l’orchestrat­ion d’un tel ouvrage exige de faire des choix.

Après la publicatio­n de cette encyclopéd­ie, ceux qui s’opposent à la «théorie du genre» tout en ignorant de quoi il en retourne seront assimilabl­es aux créationni­stes et autres détracteur­s de Galilée. Et pourtant, elle tourne! Collaborat­rice Le Devoir

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